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faire abstraction de quelques détails un peu affectés ou délayés, on trouvera le genre de mérite que je viens d’indiquer assez marqué dans cette page où d’Urfé peint Sylvandre errant seul la nuit dans un bois, en proie à la douce mélancolie d’un amant qui aime sans succès encore, mais non sans espoir.


« Il se trouva enfin dans le milieu du bois, sans se reconnaître, et quoique tous les pas il choppât toujours contre quelque chose, si ne se pouvait-il distraire de ses agréables pensées. Tout ce qu’il voyait et tout ce qui se présentait devant lui ne servait qu’à l’entretenir en cette imagination. Si, comme j’ai dit, il bronchait contre quelque chose : « Je trouve bien encore, disait-il, plus de contrariétés à mes désirs. » S’il oyait trembler les feuilles des arbres, émues par quelque souffle de vent : « Oh ! que je tremble bien mieux de crainte, disait-il, quand je suis près d’elle, et que je lui veux dire les véritables passions qu’elle pense être feintes ! » Que s’il levait quelquefois les yeux en haut, considérant la lune, il s’écriait :

« La lune au ciel, et ma Diane en terre ! »

« Le lieu solitaire, le silence et l’agréable lumière de cette nuit eussent été cause que le berger eût longuement continué et son promenoir et le doux entretien de ses pensées, sans que, s’étant enfoncé dans le plus épais du bois, il perdit en partie la clarté de la lune qui était empêchée par les branches et par les feuilles des arbres, et que revenant en lui-même, voulant sortir de cet endroit incommode, il n’eut pas sitôt jeté les yeux d’un côté et d’autre pour choisir un bon sentier, qu’il ouït quelqu’un qui parlait près de lui[1]. »


Voici un autre tableau du même genre dont je ne cite que la fin, en résumant d’abord l’ensemble de la scène. Ce n’est plus Sylvandre seul, c’est toute une troupe de bergers et de bergères dont il fait partie ainsi que Diane, qui, en se promenant et en causant, ou, si l’on veut, en argumentant, s’est égarée la nuit dans un bois. Le besoin de sommeil se fait sentir. Les bergers, toujours courtois, étendent leurs sayes, sous un arbre afin que les bergères puissent se reposer commodément. Ils se retirent ensuite un peu à l’écart, se couchent sur le gazon et s’endorment. Le plus amoureux de la troupe et par conséquent le plus rebelle au sommeil, Sylvandre, entendant confusément les voix de Diane et d’Astrée, se lève poussé par un mouvement de curiosité, s’approche doucement des deux bergères sans qu’elles s’aperçoivent de sa présence, et il assiste ainsi à une conversation secrète dont il est lui-même l’objet. Il entend Diane avouer qu’elle l’aime, mais déclarer en même temps qu’elle est fermement résolue à ne jamais l’épouser, et que par conséquent il ne connaîtra

  1. Astrée, t. II, p. 127-128.