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amour ? — C’est, répondit-elle, un certain désir de posséder la chose qu’on juge bonne ou belle. — Il n’y a point de druide en toutes les Gaules, reprit Sylvandre, qui eût pu répondre mieux que cette belle bergère. — Mais, continua-t-il en se tournant vers elle, n’est-il pas vrai qu’il y a en l’univers des animaux qui sont raisonnables et d’autres qui ne le sont pas ? — Je l’ai ouï dire ainsi, reprit Dorinde. — Et en quel de ces deux rangs, répliqua Sylvandre, voulez-vous mettre les hommes ? — Vous me mettez bien en peine, dit-elle en souriant, car quelquefois on ne peut nier qu’ils ne soient raisonnables en quelque chose ; mais d’autres fois aussi, et le plus souvent, ils sont sans raison. — Et toutefois, ajouta Sylvandre, n’est-il pas vrai que toujours les hommes recherchent leurs plaisirs et leurs contentemens ? — De cela, répondit Dorinde, il n’en faut point douter, n’y en ayant un seul qui ne délaissât le meilleur de ses amis plutôt que le moindre de ses plaisirs. — Il me suffit, reprit alors Sylvandre, que vous m’ayez avoué qu’il y ait un amour, que l’amour soit un désir de ce qui est jugé bon ou beau, et que les hommes se laissent entièrement emporter à leurs désirs, d’autant qu’il me sera maintenant bien aisé de vous prouver que non-seulement les hommes aiment, mais qu’ils aiment mieux encore que les femmes. — Si ce que je vous ai avoué, dit incontinent Dorinde, vous faisait prouver ce que vous dites, dès à cette heure je m’en dédis, aimant mieux que cela me soit reproché que si l’on en pouvait tirer une conséquence si fausse. — Toutes ses compagnes se mirent à rire de cette réponse, et prièrent Sylvandre de continuer, ce qu’il fit de cette sorte : il ne faut pas, belle bergère, beaucoup de paroles pour maintenant résoudre votre doute, mais de nécessité conclure que, puisque les hommes se portent avec tant de violence au désir de leur contentement, et la volonté n’ayant jamais que le bon pour son objet, ou pour le moins ce qui est estimé tel, il s’ensuit que, puisque l’amour n’est autre chose que ce désir, ainsi que vous-même l’avez dit, celui-là aime plus qui a plus ces objets de bonté devant les yeux, et la femme étant beaucoup plus belle et meilleure que l’homme, qui pourra nier que l’homme n’aime mieux que la femme, qui n’a pas un si digne sujet pour employer ses désirs ? — Ah ! s’écria Dorinde, j’avoue tout jusques à la conclusion que vous en tirez.

— Vous ne le pouvez, répliqua Sylvandre, sans ôter l’avantage que les femmes ont par-dessus les hommes, et c’est pourquoi il vaut mieux que vous confessiez qu’il n’y a rien en l’univers qui aime tant que l’homme[1]. »


V

Un autre agrément de l’Astrée, plus sensible pour nous que celui des controverses de galanterie, de métaphysique ou de morale, consiste dans les paysages dont ce livre est semé. Sous ce rapport, l’influence de l’Astrée ne s’est fait sentir qu’un peu tard. On a souvent remarqué, et avec raison, que les descriptions de la nature n’étaient pas le beau côté de la littérature française au XVIIe siècle.

  1. Astrée, tome IV, pages 182-184.