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que saint François de Sales et son ami le bon évêque de Belley, Camus, tous deux très liés avec d’Urfé et grands admirateurs de son roman, faisaient néanmoins des réserves dans leur admiration pour ce livre, dont ils auraient voulu supprimer un certain nombre de pages.

Toujours est-il qu’à la fin du quatrième volume, qui compte treize cent quatre-vingt-six pages, tous les esprits délicats et tous les cœurs sensibles en étaient encore à se demander comment Céladon oserait se faire reconnaître par Astrée en lui avouant sa coupable supercherie, et comment il pourrait supporter le courroux de la bergère. D’Urfé était mort, comme nous l’avons dit, en 1625, sans avoir résolu cette question palpitante, et la plupart des quarante autres épisodes du roman restaient également inachevés. Un profanateur anonyme eut l’audace de publier une continuation de l’Astrée, mais le secrétaire de d’Urfé, Balthazar Baro, revendiqua le droit de mettre fin à l’œuvre de son maître, en ayant reçu de lui la mission expresse, comme il est dit dans le privilège de cette continuation, où il est également déclaré que « la conclusion est rédigée d’après les mémoires de l’auteur, et son intention, dont il aurait instruit ledit Baro, nourri par lui en ce qui était de ses conceptions et de son style. »

Baro en effet, qui dut à ce travail de continuateur d’être reçu à l’Académie française, imite assez exactement, quoique faiblement, la manière de d’Urfé. Le trait le plus saillant du caractère, d’ailleurs assez incohérent, de Céladon, à savoir son respect méticuleux pour la lettre d’une consigne dont il viole outrageusement l’esprit, est maintenu jusqu’au bout. Quoiqu’il ne puisse plus douter, par les confidences qu’il a reçues d’Astrée sous son déguisement de fille, qu’elle est inconsolable de sa perte, ce scrupuleux amant ne se fera point reconnaître, si Astrée ne lève pas sa consigne en commandant à Céladon de paraître devant elle ; mais comment le pourrait-elle faire, puisqu’elle tient Céladon pour mort ? L’obstacle serait insurmontable, si la nymphe Léonide, la nièce d’Adamas, qui est aussi dans le secret de la supercherie de l’amoureux berger, ne se chargeait de le surmonter. Elle conduit Astrée et la fausse druidesse dans un bois épais ; après un simulacre d’évocation magique, elle annonce à Astrée qu’elle va faire paraître devant ses yeux Céladon en personne, pourvu que la bergère veuille bien répéter après elle ces mots : « Céladon, je, vous commande de paraître devant moi. » La bergère, étonnée et tremblante, obéit ; la formidable consigne est enfin levée, et aussitôt la fausse druidesse, se précipitant aux genoux d’Astrée, se déclare Céladon, et prouve son identité en lui présentant divers gages d’amour que le jeune berger avait reçus d’elle autrefois.