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de fer s’appellent Xativa, Carcajente, Alcira, Algemesi, Alfafar. Il y a de tout dans cette plaine superbe, le riz et la vigne, l’oranger et le pommier, le palmier et le saule pleureur. Le chemin de fer a l’air de courir dans un parc, et la locomotive rase de si près la verdure qu’on pourrait en passant cueillir des fruits à l’arbre.

Valence, la ville du Cid et la ville de saint Vincent Ferrier, peut être une charmante ville, mais aucun séjour ne plaît quand il est forcé. Or, en y arrivant, nous avons vainement consulté l’avis des bateaux en partance ; l’invincible ou invisible armada était probablement occupée à garder Cuba ou à reprendre le Mexique. En pareil cas, le voyageur pressé peut se donner tous les matins le divertissement que voici : l’arrivée des bateaux à vapeur est signalée par de grosses boules suspendues à un bâton, et qui sont arborées au haut du clocher de la cathédrale. Si l’on fut toujours vertueux, on se lève avec l’aurore, et on va regarder s’il y a des boules ; si l’on ne voit rien que le soleil qui poudroie, en voilà jusqu’au lendemain. Nous avons attendu ainsi pendant six jours l’apparition des boules et l’arrivée d’un de ces trente-huit bateaux dont il devait partir deux par jour.

Les boules ont une raison d’être, attendu que la ville même de Valence n’est pas un port ; elle est environ à une lieue de la mer. Le port s’appelle le Grao, et il est joint à la ville par une belle route et un prolongement du chemin de fer. Le chemin part toutes les heures, excepté de midi à trois heures, où il dort comme tout le monde. La route de terre est desservie par des voitures qui sont particulières à ce côté de l’Espagne, et qu’on appelle des tartanes. La tartane a la forme des voitures de blanchisseuses ; elle est sur deux roues, et elle n’est pas suspendue. Il y a des tartanes de maître, des tartanes de luxe, doublées en soie et en perse, la capote bien vernie ; enfin c’est la voiture du pays. Quant à la sensation qu’on y éprouve, je ne puis guère la comparer qu’à celle que doivent éprouver les des agités dans un cornet ; je crois que Micromégas joue au trictrac avec des tartanes. Les regards de désespoir morne qu’échangent entre eux les novices quand on les fait sauter dans cette boite paraissent produire un effet comique sur les endurcis.

Il y a au Grao de Valence des bains de mer très fréquentés par les Espagnols. Dans la saison, on y loue très cher de petites maisons sur le bord de la mer qui portent le nom modeste et mérité de baracas. Les femmes de Valence ont une réputation de beauté fine et blanche ; mais elles sont comme les reliques, elles ne sortent que les dimanches et jours de fête. Le patron de la ville, c’est saint Vincent Ferrier, un grand saint qui brûla beaucoup de Juifs ; il est très révéré dans le pays, et la maison où il est né, dans la rue del Mar, a été convertie en chapelle.