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et bientôt il n’y a plus une place vide. Rien n’est curieux à voir comme cette foule, aussi ardente que la chaleur qui tombe d’aplomb sur elle ; les femmes sont tête nue, comme toujours, et protégées seulement par l’éventail. De loin, on croirait voir fourmiller et s’agiter une multitude de chapeaux de paille : ce sont des éventails ronds, en papier, au bout d’une petite baguette, que l’on vend dehors pour quelques sous, et dont les hommes même se servent. Vers la fin de la course, quand le soleil a quitté l’amphithéâtre, on met le feu à ces petites ombrelles pour allumer les cigarettes.

À cinq heures, au son des fanfares, on fait entier une vingtaine de gendarmes à cheval pour faire évacuer la place ; cela s’appelle le despejo. Les amateurs, ou aficionados, qui se promenaient encore, regagnent leurs stalles ou leurs loges. La place est libre, et voici l’entrée solennelle de la troupe.

En tête les picadores à cheval ; ce sont eux, leurs chevaux surtout, qui recevront tout à l’heure les premières attaques du taureau. Ils ont un chapeau de feutre gris orné de faveurs, une veste, une ceinture de soie, les jambes bardées de fer, la jambe droite surtout, parce que c’est de ce côté que l’homme va attaquer le taureau, et les pieds logés dans de grands étriers. Pour arme, ils ont une longue lance terminée par deux pouces de fer. Les picadores ne figurent que dans le premier acte du drame ; ils n’ont pas à tuer le taureau, mais seulement à le piquer et à l’irriter. Leurs chevaux, si on peut donner ce nom aux squelettes à peine animés qu’ils montent, ont un bandeau sur les yeux ; l’œil droit surtout est complètement couvert, parce que c’est généralement le côté du taureau, au-devant duquel le cheval ne va qu’avec une répugnance facile à comprendre.

Après les picadores viennent les chulos, en costume de danseurs, c’est-à-dire en culottes courtes de satin, en bas et en veste de soie, le tout dans les couleurs les plus claires et les plus voyantes. Ils entrent en déployant devant eux leurs capas, les manteaux de soie avec lesquels ils éblouissent, irritent et détournent le taureau. "Viennent ensuite les banderilleros, à peu près dans le même costume. Ceux-là tiennent de petites flèches ornées de rubans de papier et terminées par une pointe de fer barbelé, qu’ils doivent piquer dans le cou du taureau.

Voici enfin le principal acteur de la tragédie, si toutefois le taureau ne lui dispute point ce titre. C’est celui qu’on appelait autrefois le matador, et que maintenant on appelle plus simplement l’épée, espada. Les espadas sont habituellement deux ou trois, et chaque course consomme généralement six taureaux. Le costume de ces premiers sujets est à peu près semblable à celui de leur troupe, mais il est plus riche ; il y en a du prix de A ou 5,000 francs. Leur coiffure est assez curieuse et leur donne l’air d’une vieille femme sauvage.