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faire commencer l’Afrique, aux Pyrénées. Qu’ils se rassurent : les chemins de fer aidant, ils ne garderont pas longtemps ce cachet d’individualité qui les distingue encore de la masse uniforme, et nous verrons ce qu’ils auront gagné quand, au lieu de ne ressembler à personne, ils ressembleront à tout le monde. Ils ont déjà commencé. Les hommes sont comme partout, et s’habillent comme à Paris et à Londres ; la seule chose qu’ils aient à eux, c’est le manteau et la manière de le mettre et de le porter. Quant aux femmes, elles ont subi, comme partout, l’empire de la crinoline ; heureusement il leur reste leur tête, leurs yeux, leurs cheveux et la mantille.

Je ne connais pas de pays où il y ait plus de jolies femmes. Aux églises, aux théâtres, à la promenade, dans la rue, elles abondent. Sur vingt, il y en a vingt-cinq de charmantes, car il y en a qui le sont pour deux ; mais il ne faut les regarder que si elles sont jeunes, elles supportent mal la vieillesse. Il faut croire qu’une partie de l’attrait qu’ont les femmes espagnoles aux yeux des étrangers réside dans la grâce de la tête nue et de la mantille. La gloire de l’Espagnole, ce sont ses cheveux ; on peut dire sa gloire, car c’est sa couronne. Ils poussent au soleil et au grand air comme des plantes, et les plus grandes dames vont nu-tête, comme les plus petites. La mantille est en soie noire, avec une bordure de velours ou de dentelles ; elle est quelquefois remplacée par le simple voile de dentelle. Les cheveux ne sont pas toujours noirs, pas plus que les teints ne sont toujours bruns ; on rencontre quelquefois des cheveux blonds, et le teint est généralement de ce blanc mat et ardent qui est comme phosphorescent aux lumières. Ces jolies têtes jaunes, éclairées par deux grands yeux noirs et deux rangées de dents blanches, ont l’air d’avoir mûri au soleil comme des pêches de Montreuil ou du chasselas de Fontainebleau. Le personnage du vaudeville Un Monsieur qui suit les Femmes est ici un peu dérouté dans ses observations ; l’uniformité de la coiffure et de la toilette fait qu’il est assez difficile de distinguer les femmes qui peuvent être suivies de celles qui ne doivent pas l’être, d’autant mieux que les unes comme les autres supportent sans embarras les regards d’admiration. Une autre particularité, c’est qu’il n’est pas d’usage en Espagne de donner le bras aux femmes ; elles marchent seules, et les hommes marchent à côté d’elles. Ajoutez que, dans toutes les classes et à tous les âges, toutes les Espagnoles se servent de l’éventail avec une égale perfection. On peut rapporter d’Espagne des éventails, on n’en rapportera jamais la manière de s’en servir ; ce doit être dans le sang et dans la race, les petites filles doivent naître avec l’éventail. Les femmes en font quelquefois, dit-on, un télégraphe électrique ; elles en font aussi une ombrelle et bravent sans autre protection le soleil, dont elles savent parer les coups et ne garder que le rayonnement.