remplacer l’amidon. Du reste, l’eau va devenir encore plus commune à Madrid depuis l’ouverture du canal d’Isabelle, qui s’est faite l’autre jour. Les méridionaux ont un besoin réellement exagéré de se rafraîchir. Ces ingrats, à qui Dieu donne un si admirable soleil, ne sont occupés qu’à s’en préserver : ils se barricadent contre lui comme ils le feraient contre l’étranger ; ils n’ont pas assez de rideaux, assez de volets, assez de tapis, assez de nattes pour le renvoyer. Chaque fois que je vais dans le midi, je passe mon temps à me battre avec des persiennes pour laisser entrer le soleil et recevoir à bras ouverts le Dieu de la nature. Il n’y a que les gens du nord qui sachent supporter le soleil, apparemment parce qu’ils n’y sont pas habitués. Il y a néanmoins à Madrid de très grands froids, la ville étant sur un plateau très élevé, et à la proximité de la chaîne du Guadarrama. Le proverbe dit : « Trois mois d’hiver, neuf mois d’enfer. » Ce qu’ils appellent l’enfer, c’est la chaleur !
Il y a des heures dans la journée où la vie est suspendue, c’est l’après-midi. Tout le monde dort, les églises sont fermées : c’est Londres vu le dimanche pendant les offices, quand il n’y a que des Français dehors. Il n’y a qu’eux aussi qui traversent à cette heure la Puerta del Sol, ainsi appelée, non pas à cause du soleil, mais à cause d’un cadran. La porte est une place, avec des maisons comme partout, et qu’on est en train d’agrandir par des démolitions. C’est le point central de Madrid et le rendez-vous des oisifs ; on y négocie aussi des actions. Là est le ministère de l’intérieur avec le télégraphe électrique ; derrière ce bâtiment est la poste, qui ferme à sept heures, et où il faut remarquer l’organisation du bureau restant. Chaque matin, après l’arrivée du courrier, les lettres sont triées en lettres venant de l’étranger, ou des provinces, et les noms des destinataires sont inscrits sur des listes divisées par chaque jour et chaque mois ; en consultant ces listes, affichées dans le bureau, on sait si on a des lettres à réclamer.
De là vous pouvez gagner la plaza Mayor, aujourd’hui place de la Constitution ; de laquelle des constitutions ? On n’a jamais pu le savoir. On dit qu’il se donne quelquefois sur cette place des courses de taureaux, auxquelles prennent part les jeunes gens de l’aristocratie ; quand le taureau a éventré quelques chevaux et culbuté leurs cavaliers, je voudrais voir comment il regarde ce cheval de bronze et ce picador de bronze qui occupent le milieu de la place sous le nom de statue équestre de Philippe III. D’un côté de la place est la rue de Tolède, qui mène au vieux Madrid ; de l’autre est la calle Mayor, ou grand’rue. En la descendant, on rencontre la plazuela de la Villa, où l’on montre une tour qui fut la prison de François Ier et une maison qui fut celle de Ximénès. Plus loin, au coin de l’église Santa-Maria, est une ruelle qui fut le théâtre d’une