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de Paris, ou les concierges, comme disent les portiers, ne fassent pas usage de cette institution : ils ne seraient plus les maîtres de leurs propriétaires, c’est vrai, mais ils dormiraient. Peut-être aiment-ils mieux les soucis de l’empire que les douceurs du repos, et préfèrent-ils l’exercice de la tyrannie à la jouissance du sommeil. Enveloppé dans son manteau, armé de sa longue lance au bout de laquelle est une lanterne, le sereno est le dernier et prosaïque représentant des « nuits espagnoles, » de même que sa mélopée plaintive est la seule sérénade qui ait survécu sous les balcons. Je n’ai point vu l’Andalousie, où l’on retrouve encore, dit-on, l’Espagne des romances ; mais à Madrid il ne m’a été donné d’assister à aucune ascension par échelle de soie ni à aucun dialogue par guitare. Les guitareros aujourd’hui sont les mendians aveugles, et il y en a beaucoup dans ce pays, où le soleil brûle les yeux ; le soir, on les trouve accroupis contre les portes ou au coin des allées, et jouant tristement leur air monotone.

C’est maintenant le règne du piano. Il y a des pianos dans toutes les maisons, il y en a dans presque tous les cafés, où le soir on réjouit l’oreille du consommateur par des valses et des polkas. On appelle les garçons en frappant dans ses mains, comme cela se voit dans les Mille et Une Nuits. Les cafés ne sont pas brillans ; il y en a quelques-uns où l’on sert encore le café dans des verres. Les boissons glacées, bebidas heladas, y sont très bonnes, et on en fait grand usage. Une boisson toute locale, c’est la bière avec du citron. On vous apporte un saladier, on y verse une limonade glacée, puis une bouteille de bière très mousseuse, et ce mélange se sert avec une cuillère à punch. C’est bon quand on l’aime. J’en dirai autant d’un autre genre de rafraîchissemens qui se vend dans de petits cafés tenus par des Valenciennes, seulement pendant l’été, et qui s’appellent des orchalerias. Ces boissons consistent en eau d’orge frappée, agua de cebada, et en orgeat de chufas, petites graines qui viennent de Valence. Tisane pour tisane, il y en a qui préfèrent encore celle du vin de Champagne.

Mais la boisson universelle, c’est l’eau ; on en fait une consommation effrénée. On boit de l’eau toute la journée, on vend de l’eau à tous les coins de rue, à table on vous verse de grands verres d’eau ; j’allais dire que l’eau est partout, lorsque je me suis souvenu des rivières. Les porteurs d’eau, presque tous dès Galiciens, la portent à bras dans de petits barils ou dans de grandes amphores en métal. Les marchands d’eau, comme à Paris les marchands de coco, ont des espèces de paniers en fer-blanc, ornés de boules en cuivre toujours très brillantes, avec des compartimens qui contiennent de l’eau dans de la neige, des verres et des azucarillos, sorte de bâtons de sucre poreux qui pourrait avantageusement