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de tabac que vous les trouverez. C’est pourquoi la cigarette est d’un usage universel ; on la fume partout, à toute heure. Je n’ai pas vu une seule femme fumer, mais je n’en ai vu aucune se montrer intolérante pour les fumeurs. Aux théâtres, pendant chaque entr’acte, les hommes vont fumer dans les couloirs, et quand la toile baisse, on entend partir de tous les côtés le bruit sec de l’allumette chimique.

Je ne connais pas de pays où l’on prenne moins de souci du feu : on jette les allumettes partout, sur les tapis, sur les nattes, n’importe, et cependant je n’ai pas vu un incendie. On dirait que les maisons sont préservées par les plaques des compagnies d’assurance qu’elles ont l’air de porter toutes comme une amulette ; on ne peut lever le nez dans la rue ni le mettre à la fenêtre sans rencontrer en lettres majuscules les mots asegurada de incendios ; iln’y a pas une maison ; pas une masure, pas même une démolition qui ne soit ornée de cette éternelle plaque, dont la vue finît par produire sur les nerfs l’effet d’une ritournelle d’orgue de barbarie. Cet effet se produit particulièrement sur les étrangers qui cherchent leur chemin : ils croient lire le nom des rues, et ils tombent invariablement sur l’annonce de la compagnie d’assurance. Une autre ritournelle, c’est celle des cailles : à toute heure du jour et de la nuit, on entend leur petit cri bien connu, partant de cages suspendues aux balcons. Que peut-on faire de tant de cailles ? Les élève-t-on pour les nourrir, ou pour les manger, ou pour la chasse de leurs semblables ?

On trouve aussi aux fenêtres et aux balcons de petits morceaux de carton blanc : cela vent dire des appartemens à louer. Quand ce sont des appartemens non meublés, la carte est au milieu ; quand l’appartement est meublé, la carte est de côté. Les maisons à Madrid n’ont aucun genre particulier d’architecture, et ressemblent à toutes les maisons possibles ; elles sont, comme à Paris, divisées en plusieurs locations, et à chaque étage les portes sont habituellement pourvues de petits guichets par lesquels on peut reconnaître les visiteurs. Il y a toutefois quelque chose qui mérite d’être remarqué dans les maisons un peu considérables : ce sont les grandes portes d’entrée ; elles ont une abondance d’ornemens en fer et en cuivre, un luxe de serrurerie qui en font de vrais ouvrages d’art. On voit que l’Espagne a été le pays du fer.

Ces portes me rappellent une institution qui à disparu de nos pays et qui a été conservée en Espagne, celle des gardiens de nuit. Les serenos, comme on les appelle, commencent leurs promenades vers dix ou onze heures du soir. Ils ne se contentent pas de crier les heures ou le temps qu’il fait, ils font aussi l’office de portiers ; ils ont les clés des maisons ; quand vous rentrez tard, ils vous ouvrent la porte et vous reconduisent jusqu’à votre appartement, et se montrent reconnaissans d’une demi-piécette. Je m’étonne que les portiers