dans le logement, et l’on peut également, si l’on veut, se faire servir à dîner chez soi. Les étrangers, qui à Londres errent comme des estomacs en peine en cherchant un restaurateur, auraient encore moins de ressources à Madrid ; il n’y a décidément que Paris au monde pour être la ville de tout le monde.
Il n’y a aussi que la France au monde pour avoir une cuisine ; ce genre de supériorité lui est resté. La cuisine espagnole a une couleur locale, celle du safran, et aussi un parfum local, celui de l’ail et de l’huile sentant son fruit. Le plat national est le puckero, qui n’est autre chose que le pot-au-feu ; ce qui le distingue du nôtre, c’est un accompagnement de pois chiches appelés garbanzos. L’olla podrida, qui figure beaucoup dans les livres, n’est qu’une variété du puchero. Viennent ensuite les rognons aux tomates, le riz à la Valencienne, des poulets auxquels des pigeons en bas âge ne voudraient pas ressembler ; j’oubliais l’inévitable tortilla, l’omelette. Le vin noir, qui est servi partout comme vin ordinaire sous le nom de val de Peñas, n’est pas buvable ; aussi ne le boit-on pas, et il paraît n’avoir d’autre destination que celle de tacher le linge. Lie vrai val de Peñas, quand il est vieux, n’est pas sans mérite, et il a un goût d’amertume assez salubre. Le vin de Xérès pur ne ressemble pas du tout à celui qu’on fait pour les Anglais, et qui fait bien de s’appeler sherry ; quant au vin de Madère, il y a plusieurs années qu’il est mort, on peut même dire enterré, car il n’y en a plus que dans quelques caves de plus en plus rares.
Ces renseignemens un peu prosaïques sont à l’usage du voyageur difficile, c’est-à-dire de celui qui ne sait pas voyager, car le vrai doit savoir s’accommoder de tout, et ne pas demander au prunier de porter des poires. Après tout, pourquoi les Espagnols changeraient-ils leur cuisine, si elle leur convient comme elle est ? Des goûts et des odeurs il ne faut disputer. Les Espagnols d’ailleurs ont peu de besoins ; ils sont remarquablement sobres, et même dans le peuple on ne voit jamais un homme ivre. Ils vivent beaucoup au dehors, beaucoup au théâtre, et reçoivent peu chez eux ; il y a quelques larges exceptions, mais ce sont des maisons pour ainsi dire cosmopolites. Il ne faut donc point prendre dans un sens absolu la fameuse formule a la disposicion de vd, qui vous est adressée toutes les fois que vous paraissez admirer ou remarquer n’importe quel objet, et il faut savoir montrer à vos hôtes une discrétion égale à leur politesse.
Deux choses se donnent beaucoup, le feu et l’eau. Devant le cigare et la cigarette, tous les Espagnols sont égaux, et le mendiant arrêtera le plus grand seigneur pour lui demander du feu. Pour le dire en passant, il ne faut pas s’imaginer qu’on trouve des cigares aussi facilement que des allumettes ou des oranges : les bons sont très rares, et ne sont qu’en bonnes mains ; ce n’est pas dans les débits