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de correction et de discipline, de pénitenciers ; mais il n’existe aucun de ces établissement dans le pays. On a donné des ordres pour la création de salles d’asile, et les pauvres pullulent dans tous les recoins de la cité. »

Sir Henry Ward eut la malheureuse idée de revenir à la politique draconienne de Thomas Maitland. Il était lord haut-commissaire lorsque éclatèrent les événemens de 1848. On sait qu’à cette époque presque toutes les nationalités vaincues se soulevèrent contre leurs « protecteurs » ou contre leurs maîtres. Venise, la Lombardie, la Hongrie, s’insurgèrent contre l’Autriche. L’agitation gagna l’Orient ; une insurrection éclata dans les provinces roumaines. Il était difficile que les Iles-Ioniennes, toujours en fermentation depuis 1821, échappassent à la conflagration universelle. Sir Henry Ward aurait dû tenir compte des conjonctures et user avec modération de la victoire des armes britanniques sur les insurgés de Céphalonie[1]. Bien loin de prendre conseil de l’esprit de conciliation et d’imiter l’indulgence dont lord Seaton usa dans une circonstance pareille, il proclama l’état de siège et se rendit odieux par les supplices qu’il ordonna. Nous vivons heureusement dans un temps où la peine de mort en matière politique excite de vives répugnances. L’adoucissement des mœurs et l’inutilité bien constatée d’un pareil système de répression ont discrédité les « rigueurs salutaires. » Donner des martyrs à une cause qu’on prétend dépopulariser est le meilleur moyen de la rendre sacrée aux yeux des masses. Le parti hellénique, loin d’être intimidé, résista avec résolution aux projets de sir Henry Ward. Une opposition opiniâtre éclata dans la majorité du parlement, qui fut prorogé, dissous, renouvelé, et de nouveau prorogé par le lord-commissaire. La police fut remise exclusivement aux autorités britanniques, et on enleva au jury le jugement des délits de presse. Les concessions faites par lord Seaton, prédécesseur de sir Henry Ward, semblaient toutes remises en question, et les plus mauvais jours du gouvernement de Maitland revenus pour les Iles-Ioniennes. Les Anglais comprirent heureusement les dangers de cette politique à outrance et la nécessité de faire des concessions aux insulaires. Un décret du gouvernement ionien, en date du 22 décembre 1851, contre-signe par lord Granville, indiqua des modifications à introduire dans la constitution de 1817[2].

  1. La plus grave des insurrections fut celle de Céphalonie, en septembre 1849.
  2. Voici les termes de ce décret : « 1° Le parlement se réunira tous les ans ; 2° l’organisation du sénat sera modifiée de manière à accroître la responsabilité de ses membres et à bien préciser leurs devoirs ; 3° il sera adjoint au conseil suprême de la justice un cinquième membre, afin que ce corps puisse décider à la majorité absolue des voix, et qu’il n’ait plus à recourir, en cas d’égalité des voix, à l’intervention du lord haut-commissaire ; 4° le parlement ionien aura l’initiative d’une loi tendant à mieux régler les pouvoirs du gouvernement des îles ; 5° le parlement déterminera les attributions qui devront être substituées aux attributions actuelles (*) de haute police. »
    (*) Visites domiciliaires nocturnes, confiscation des papiers, emprisonnement et bannissement des citoyens sans enquête préalable et sans responsabilité.