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infidèle à ses devoirs, mais il est sûr qu’il trouvera toujours dans la Grande-Bretagne les juges les plus sévères.

Le 24 avril 1819, Mahmoud II reconnut l’indépendance des Iles-Ioniennes et le protectorat des Anglais. Il obtint en échange la cession de Parga, cession qui produisit parmi les insulaires une impression beaucoup plus douloureuse que la faiblesse des Français envers Ali-Pacha, et qui contribua singulièrement à rendre plus vive l’antipathie que Maitland inspirait aux Ioniens. Lorsque les Sept-lles avaient été constituées en république par le traité du 21 mars 1800 entre la Turquie et la Russie, Prévésa, Yonizza, Butrinto et Parga avaient en même temps été cédées à la Porte à certaines conditions. On ne peut donc dire que l’Angleterre ait eu la première idée d’un arrangement qui contribua si efficacement à la dépopulariser parmi ses « protégés. » Cependant les représentans de la Grande-Bretagne eurent la malheureuse idée de modifier en un point essentiel le traité de 1800. Le général Campbell avait d’abord affirmé solennellement que les habitans de Parga « partageraient le sort des Sept-Iles; » or Maitland ne tarda point à leur enlever cette espérance. Dans une lettre adressée au lieutenant-colonel de Bosset, il annonça que les Anglais n’avaient pas l’intention de conserver les possessions de terre-ferme, et qu’ils y renonceraient « sans conditions. » Ce mot « sans conditions » était loin d’être rassurant, car les chrétiens savaient trop bien quel sort attendait les infortunés livrés à la discrétion d’Ali-Pacha. L’astucieux vizir avait su tromper avec tant d’adresse les représentans de l’Angleterre dans les Iles-Ioniennes, qu’après la prise de Santa-Maura le général Oswld s’était empressé d’aller à Janina recevoir ses félicitations, et le remercier d’avoir contribué au succès des armes britanniques !… Aussi le lord-commissaire, toujours porté à se défier des Grecs, était pleinement convaincu de la bonne foi d’Ali, conviction qui était partagée, à de très rares exceptions près, par les négociateurs et les généraux de l’Angleterre. Tous, même l’orgueilleux Maitland, couraient aux rendez-vous que leur indiquait le pacha. On les voyait à Janina, à Prévésa, à Butrinto, étaler dans ses fêtes un luxe écrasant, ou affecter le sans-gêne de gentlemen peu soucieux de l’opinion d’un despote albanais. Ali, qui conservait, même au sein des plaisirs, ses pensées d’insatiable ambition, mêlait habilement les festins aux discussions financières. Enfin, dans une conférence qui eut lieu à Butrinto, le vizir et Maitland convinrent que les habitans de Parga recevraient en échange de leur ville la somme de 150,000 livres sterling.

Un écrivain anglais, le lieutenant-colonel de Bosset, a raconté avec émotion[1] les conséquences de ce marché funeste. Si un

  1. Parga and the Ionian-Islands, by C. P. de Bosset, London 1821.