Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rier pour avoir un chez moi, un but de réforme, un sujet de préoccupation ; mais le cardinal, à qui je confiais mes accès d’inquiétudes morales, me plaisantait et me traitait de fou. — Tu as trop bu ou trop travaillé hier soir, me disait-il ; ton cerveau se remplit de vapeurs. Dissipe-les en allant voir la Cintia ou la Fiammetta, et surtout ne te marie pas avec elles.

« J’aimais le cardinal : il était bon et enjoué ; mais, bien qu’il me traitât paternellement et sans morgue, je voyais trop qu’il était plus aimable qu’aimant, qu’il savait rendre son entourage agréable, et que j’y étais pour quelque chose, mais qu’il n’était pas homme à me supporter longtemps près de lui, si je tombais dans la mélancolie et si je devenais ennuyeux.

« Je tâchai de m’étourdir et de m’oublier dans le bien-être présent, de vivre au jour le jour sans souci du lendemain comme tout ce qui m’entourait. Je ne pus y parvenir. L’ennui augmenta, le dégoût se prononça ouvertement. Je me sentais rassasié d’amours faciles, d’engouemens sensuels partagés sans combat par des femmes de tous les rangs. Pour moi, pauvre roturier, ces plaisirs avaient eu d’abord l’attrait de bonnes fortunes. En voyant que mon perruquier, qui était un fort beau garçon, avait autant de succès que moi, je pris les marquises en horreur. Je voulus quitter Naples. Je demandai au cardinal de m’envoyer vivre dans une de ses villas, en Calabre ou en Sicile. Je me serais fait intendant ou bibliothécaire n’importe où. J’avais soif de repos et de solitude. Il se moqua encore de mes projets de retraite. Il n’y croyait pas. Il ne me jugeait pas plus fait pour être intendant que pour être moine. Il avait sans doute raison, mais il eut bien tort, comme vous allez voir, de me retenir.

« Un autre neveu du cardinal revint de ses voyages et s’installa dans la maison. Autant le jeune Tito Villareggia était sympathique et bienveillant, autant son cousin Marco Melfi était sot, absurde, impertinent et vaniteux. Il fut désagréable à tout le monde et s’attira plusieurs duels pour son début. Il était grand ferrailleur et blessa ou tua ses adversaires sans recevoir d’égratignures, ce qui porta son outrecuidance à un excès insoutenable. Je me tins sur la réserve du mieux que je pus ; mais un jour, poussé à bout par sa grossièreté provocante, je lui donnai un démenti formel et lui en offris réparation les armes à la main. Il refusa, parce que je n’étais pas gentilhomme, et, s’élançant sur moi, voulut me souffleter. Je le terrassai, et le laissai sans autre mal qu’un étouffement de fureur. L’esclandre fit grand bruit. Le cardinal me donna raison tout bas, et me pria de m’en aller bien vite me cacher dans une de ses terres jusqu’à ce que Marco Melfi fût reparti pour d’autres voyages.