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race néo-latine. Les Iles-Ioniennes suivirent la destinée de la reine de l’Adriatique. Le 27 juin 1797, elles furent occupées par le général Gentilly. Lorsque Bonaparte signa le traité de Campo-Formio (17 octobre 1799) et partagea avec l’Autriche les dépouilles de Venise, il obligea les plénipotentiaires autrichiens à céder à la France les Sept-Iles et leurs dépendances continentales, Parga, Prévésa, Vonizza et Butrinto. On en forma les départemens de Corcyre, d’Ithaque et de la Mer-Égée.

Cette révolution fut accueillie par les Ioniens avec un sincère enthousiasme. Sans doute, depuis la soumission volontaire de Corfou (1386) jusqu’à la paix de Passarowitz (1718), Venise avait su conquérir l’affection et l’estime des insulaires par son courage, sa tolérance, son impartialité et sa vigilante administration ; mais le XVIIIe siècle avait été une période de corruption et de brigandage. Maîtresse des charges politiques et militaires, l’aristocratie vénitienne les confiait à des fonctionnaires prévaricateurs. La noblesse indigène, dont le sénat de Venise restreignait chaque jour les privilèges, s’acquittait des fonctions municipales avec un égoïsme qu’on ne saurait trop sévèrement qualifier. Le peuple ionien, victime d’une double tyrannie, avait perdu, avec le sentiment de sa dignité et de ses droits, son antique activité et son énergie patriotique. L’agriculture était en pleine décadence, l’industrie nulle ; le commerce, entravé par d’absurdes monopoles et surchargé d’iniques impôts, n’avait plus qu’une vie précaire. La justice n’était qu’un vain nom ; le vol et le meurtre étaient considérés comme des délits vulgaires. Des pirates et des bravi gouvernés par des Verres, tel est le tableau que présentait cet infortuné pays lorsque le dernier successeur du doge Anafeste remit, après onze siècles de triomphes, les clés de Venise au général du directoire.

Les Ioniens pouvaient croire raisonnablement que la France se montrerait plus équitable que les derniers provéditeurs. Ils savaient que la république française prétendait émanciper les nations des servitudes séculaires ; ils n’ignoraient pas que le nom des grands hommes de la race hellénique avait été depuis 1789 constamment invoqué par les destructeurs de l’ancien régime ; enfin ils se faisaient des soldats qui marchaient sous le drapeau tricolore l’idée la plus propre à fortifier leurs espérances de régénération. Les peuples longtemps opprimés commencent, avec une naïveté toujours trompée, par compter sur des secours étrangers. Ils ont besoin d’une longue expérience et de cruelles déceptions pour se convaincre que les nations, comme les individus, ont leur égoïsme implacable, et que dans « la bataille de la vie » il faut surtout se confier à son énergie personnelle et à ses efforts persévérans. Assurément aucun état ne s’est autant préoccupé que la France des destinées de l’humanité. Toutefois