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de faire venir des bords du Danube. Cependant la forme républicaine n’exclut pas toujours l’arbitraire. Venise avait horreur de toute indépendance chez ses sujets. Ce goût du pouvoir absolu, qui causa sa décadence et sa ruine, devait lui rendre importunes les réclamations des syndics. Aussi, à la fin du XVIIIe siècle, leurs privilèges se réduisaient-ils à prendre place à l’église après le dernier des nobles vénitiens, et à précéder dans les cérémonies les gentilshommes de l’île. La crainte d’encourir le mécontentement de leurs supérieurs les avait décidés à s’abstenir d’assister aux jugemens emportant peine de mort, qu’ils pouvaient primitivement réviser et même annuler. Venise croyait fortifier son autorité en rendant impossible tout contrôle, même le plus légitime. Cette funeste illusion, qui a causé sa ruine, a perdu des gouvernemens plus forts que celui de l’aristocratie vénitienne.

Outre les syndics et les justiciers, qui dépendaient des syndics, le conseil de la noblesse nommait les trois intendans de la santé (proveditori alla sanità), les trois juges de première instance (di prima instanza), les trois administrateurs du mont-de-piété, les trois inspecteurs des rues, les trois juges de paix, les gouverneurs de l’île de Paxo, de Parga en Albanie, du château Saint-Ange, et les employés pris dans la bourgeoisie. Les fonctions de juges et de gouverneurs semblent au premier coup d’œil avoir quelque importance; mais les juges de première instance ne pouvaient pas s’occuper d’affaires où il s’agît de plus de dix sequins, et les gouverneurs n’avaient d’ordres à recevoir que du provéditeur de la forteresse. En outre l’armée, composée de Vénitiens ou d’Esclavons, les tenait en respect. La milice bourgeoise de Corfou, à laquelle on donnait le nom significatif de scolari (écoliers), n’ayant ni solde ni uniforme, et ne dépassant pas cinq cents hommes, n’était point, dans les mains des gentilshommes indigènes qui la commandaient, une force en état d’imposer aux régimens étrangers. La cernida, organisée dans les villages, était sur le même pied que la milice bourgeoise, et ne donnait pas non plus, à ce qu’il paraît, beaucoup d’inquiétude à l’inquisition d’état.

Il faut rendre cette justice à Venise, que si elle ne négligea rien pour concentrer dans ses mains toute la vie politique des îles, si elle entretint les dissensions afin de régner plus paisiblement en divisant les Ioniens, elle montra dans l’ordre religieux une tolérance très rare à cette époque chez les gouvernemens catholiques. Venise savait, au besoin, défendre contre la papauté les droits de l’autorité civile. Si l’on pouvait lui appliquer des expressions empruntées à l’histoire d’un autre pays, ses tendances étaient plutôt gallicanes qu’ultramontaines. Venise avait peu de goût pour les utopies théologiques qui ont exercé une si fâcheuse influence sur l’Espa-