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ses sœurs lui avaient brodés, au joli ameublement dont sa mère avait orné l’étude qu’il devait partager avec Toni. « Voilà, lui dit le docteur, le petit garçon qui partagera votre étude. Il n’a pas aussi bonne mine que nous le voudrions, il a besoin d’air et de quelques ; parties de balle. Il faudra lui faire faire quelques bonnes promenades et lui montrer quelles jolies campagnes nous avons tout près d’ici. » Tom fut d’abord assez peu satisfait du compagnon qu’on lui donnait, et il était assez de l’avis du Tétard, qui avait formulé en ces termes son étonnement : « Voilà un drôle de camarade pour Tom Brovvn ! » Lui, l’enfant indiscipliné par excellence, on lui donnait pour compagnon un enfant timide et délicat, presque une demoiselle, que l’école ne tarderait pas à baptiser du nom de Jenny ou de Molly ! Cependant il prit son rôle au sérieux, d’autant plus que son petit cœur avait été ému, car les influences féminines s’étaient mises de la partie et avaient agi de leur mieux pour bien disposer en faveur d’Arthur le farouche Tom. Non-seulement le docteur, mais la femme du docteur et la femme de charge de l’école s’intéressaient à l’enfant mélancolique : comment résister à tant d’influences réunies !

Le docteur aurait pu voir dès le soir même que Tom prendrait sa tâche à cœur et remplirait fidèlement les devoirs dont il était chargé. À l’heure du coucher, lorsqu’il fut à demi déshabillé, le jeune enfant s’agenouilla au pied de son lit, et se mit en devoir de faire ses prières, selon la coutume de la maison paternelle. Une pantoufle lancée par un des élèves l’interrompit dans cette pieuse occupation, juste au moment où Tom Brown se retournait pour poser à terre une de ses bottines qu’il venait de délacer, et qui servit immédiatement d’instrument de vengeance. « Le diable vous emporte, Brown ! qu’est-ce que vous avez donc ? — Ne vous inquiétez pas de ce que j’ai, répond Tom, et si quelqu’un désire recevoir à la tête l’autre bottine, il sait ce qu’il doit faire pour cela. » Malgré tout son bon vouloir, il fallut bien du temps à Tom pour vaincre la timidité du jeune Arthur. Le jeune enfant gardait une réserve excessive, et ne parlait que lorsque Tom le premier lui adressait la parole. La frêle santé de l’enfant était un autre obstacle à leur intimité. Arthur était bien le camarade d’études de Tom, mais il ne pouvait être son camarade de jeux ; son caractère prématurément sérieux et ses nerfs trop peu aguerris ne lui permettaient pas de prendre part aux longues courses et aux interminables parties de ballon. Vivrait-il donc toujours solitaire, et n’y avait-il aucun remède à cette mélancolie ? Enfin un jour Arthur manifesta le désir de faire la connaissance du naturaliste Martin, dont la physionomie l’avait séduit. Tom, en garçon pratique, s’empressa de satisfaire ce désir ; l’occasion qui devait vaincre la réserve d’Arthur et l’arracher à la solitude