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qui me plaça dans une famille moins opulente, mais beaucoup plus désagréable, et avec des élèves beaucoup plus obtus que les précédens. Leur mère, peu jeune et peu belle, me prit vite en grippe parce que je ne me faisais pas illusion sur ses charmes. Je ne me piquais pas d’une vertu farouche, je ne m’attribuais pas le droit de vouloir débuter en amour avec une déesse, je savais me contenter de beaucoup moins ; mais, la maîtresse de la maison fût-elle passable, je ne voulais pas être l’amant d’une femme qui me commandait et me payait. Je m’en fus retrouver mon savant abbé et lui conter mes ennuis. Il se prit à rire en disant : — C’est votre faute ; vous êtes beau garçon, et cela vous rend trop difficile.

« Je le suppliai de me faire entrer chez un veuf ou chez des orphelins. Après quelques recherches, il me déclara qu’il tenait mon affaire. Le jeune duc de Villareggia avait perdu père et mère ; il n’avait ni sœurs ni tantes. Élevé chez un oncle cardinal, il avait besoin non d’un gouverneur, il en avait un, mais d’un professeur de langues et de littérature : je fus agréé. Là, ma position devint agréable et même lucrative. Le cardinal était un homme de savoir et d’esprit ; son neveu, âgé de treize ans, était fort bien doué et d’un caractère aimable. Je m’attachai beaucoup à lui, et lui fis faire de rapides progrès, tout en étudiant beaucoup moi-même, car j’avais un logement à moi, et toutes mes soirées libres pour me livrer au travail. Le cardinal était si content de moi que, pour me retenir exclusivement et m’empêcher de prendre d’autres élèves, il me rétribuait assez largement.

« Ma conduite fut studieuse et régulière pendant environ un an ; j’avais eu tant de chagrin et je sentais si bien mon isolement dans la société, que je prenais la vie au sérieux peut-être plus qu’elle ne le mérite. J’aurais pu tourner au pédant, si le cardinal ne se fût attaché à me pousser spirituellement et gracieusement à la légèreté et à la corruption du siècle. Il me fit homme du monde, et je ne sais trop si je dois lui en savoir gré. J’en vins peu à peu à perdre beaucoup de temps pour ma toilette, mes amourettes et mes plaisirs. Le palais du prélat était le rendez-vous des beaux esprits du cru et des individualités brillantes de la ville. On ne me demandait pas de moraliser mon élève, mais d’orner son esprit de choses agréables et légères. On ne me demandait, à moi, que d’être aimable avec tout le monde. Ce n’était pas difficile au milieu de gens frivoles et bienveillans ; je devins charmant, plus charmant qu’il ne convenait peut-être à un orphelin sans appui, sans fortune et sans avenir.

« Je menai peu à peu une vie assez dissolue, et pendant quelque temps je me trouvai sur la pente du mal, encouragé et comme poussé en bas par tout ce qui m’environnait, retenu seulement par