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débraillée l’avaient fait baptiser d’un sobriquet que je traduirai poliment par le mot, déjà fort expressif, de saligaud. Ses pantalons étaient toujours trop courts, ses jaquettes toujours trop étroites, ses souliers toujours crottés. Il avait un talent particulier pour déchirer et tacher ses habits ; mais plus grand était son talent pour se créer des difficultés financières. Aussitôt qu’il avait de l’argent, — et il en recevait autant que les autres élèves, — il s’en débarrassait on ne savait comment. Alors, comme il était aussi insouciant que prodigue, il empruntait de tous côtés, et lorsque ses dettes étaient devenues trop criardes et ses créanciers trop pressans, il faisait une vente aux enchères de tout ce qu’il possédait, afin de se libérer. Tout y passait, ses chandeliers, son pupitre, sa table, ses livres et son papier. Pauvre comme Job, il rôdait alors à travers les salles, écrivant ses devoirs sur des loques de papier ramassées dans les débris et apprenant ses leçons par-dessus l’épaule de ses camarades : du reste, un garçon d’esprit, d’une langue agile, qui mettait aisément hors de combat les mauvais plaisans et les railleurs. Il était studieux, vivait à peu près seul, portait fièrement sa détresse, et se souciait peu de l’opinion publique. Il prit en amitié Tom et East, qui, pour le récompenser de ses bons conseils, achetèrent son mobilier lors d’une de ses fréquentes faillites, puis le lui rendirent libéralement. Quel mobilier ! des portefeuilles sans serrures, des serrures sans clé, une vieille ratière, un gril dépourvu de poignée. Diggs fut touché de leur procédé, et se montra reconnaissant. « Vous êtes de bons petits cœurs, vous deux, leur dit-il, je tenais à ce portefeuille, ma sœur me l’avait donné. Je ne l’oublierai pas. » Il ne l’oublia pas en effet, et il les aida à se débarrasser de la tyrannie de Flashman. Pauvre Diggs ! nous serions curieux de savoir quelle a été sa destinée dans ce monde, car il représente assez bien ce que devaient être au collège l’insouciant Charles Fox et le spirituel Sheridan.

Non moins singulier est le second personnage que nous avons à vous présenter. Celui-là était un naturaliste qui répondait au nom de Martin, et que ses manies scientifiques avaient fait surnommer Madman (le Fou). Son étude était un antre dans lequel il vivait reclus comme Roger Bacon dans sa cellule. Ses camarades n’en approchaient point, car ils ne savaient pas quels monstres ils pourraient y rencontrer. À quinze pas, une odeur de mélanges chimiques saisissait l’odorat. Si quelque imprudent entrait dans ce repaire, il était d’abord accueilli par les cris furieux d’une vieille pie, qui l’accablait de malédictions ; puis il sentait une couleuvre s’enrouler familièrement autour de sa jambe, pendant que du fond d’une cuvette cassée une grenouille le regardait de ses yeux immobiles.