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« Comme c’était sa troisième réponse, différente de la seconde et de la première, j’éprouvai une secrète défiance. — Est-ce vous par hasard, lui dis-je, qui prétendez être cet ami et venir à mon secours ?

— Non, dit-il, je suis un mandataire fidèle, et rien de plus.

— Eh bien ! dites à ceux qui vous ont choisi que je leur rends grâce, mais que je n’accepte rien, pas plus des amis qui se montrent que de ceux qui se cachent. Avez-vous quelque chose à me révéler avec l’autorisation de ma famille ?

— Non, rien, répondit-il, mais plus tard probablement. Où allez-vous demeurer à Rome ?

— Je n’en sais rien.

— Eh bien ! moi, je le saurai, reprit-il, car je ne dois pas vous perdre de vue. Adieu, et souvenez-vous que si vous tombiez dans la disgrâce, l’argent que vous voyez là est à vous, et qu’il suffira de m’avertir pour que je vous en tienne compte.

« Il me sembla que cet homme parlait avec sincérité en ce moment ; mais il se pouvait que ce ne fût qu’un de ces spéculateurs hardis qui vont au-devant des nécessiteux dans l’espoir de les rançonner plus tard. Je le remerciai froidement et partis les mains presque vides.

« Je ne m’embarrassai guère de ce que j’allais devenir. Il ne fallait plus songer aux voyages, mais bien à trouver un emploi quelconque pour vivre. Quoique depuis longtemps il ne m’eût pas été permis de continuer à m’instruire, grâce à une excellente mémoire je n’avais rien oublié. Mes petites connaissances étaient assez variées, et les élémens des choses étaient assez positifs dans ma tête pour qu’il me fût possible d’entreprendre avec succès l’éducation particulière d’un jeune garçon. Je désirai surtout cette fonction dans l’espoir que j’avais de continuer mes études en prenant sur mon sommeil.

« Mon père avait eu les relations les plus honorables dans la province que nous habitions ; mais, chose étrange, ma conduite à l’égard de Mme Goffredi fut jugée romanesque et peu digne d’un homme sérieux. Je m’étais laissé ruiner ; c’était tant pis pour moi : j’avais mauvaise grâce à demander un emploi, moi, connu pour un dissipateur aveugle, pour une espèce de fou ! Je ne devais donc pas songer à être placé à Pérouse. À Rome, un des amis de mon père me fit entrer, en qualité de précepteur, chez un prince napolitain qui avait deux fils paresseux et sans intelligence, plus une fille bossue, coquette et d’humeur amoureuse. Au bout de deux mois, je demandai mon congé pour me soustraire aux œillades de cette héroïne de roman dont je ne voulais pas être le héros.

« Je trouvai à Naples un autre ami de mon père, un savant abbé,