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repas à deux services, comme les exige l’appétit anglais. D’abord vient la collation, se composant de thé et de beurre fournis par l’école, mais auxquels les enfans ajoutent des délicatesses culinaires de leur invention, des pommes de terre frites, des rôties de pain beurrées, des saucisses, bref tout ce que vous pourrez imaginer d’indigeste. Heureusement ces estomacs juvéniles sont solides, et ils auront à en supporter bien d’autres. Avant qu’ils soient tourmentés par cette maladie de fabrique anglaise qui s’appelle la dyspepsie, combien il faudra de repas politiques, d’oies de Noël, de sandwiches, de pâtés aux huîtres et de potages à la tortue ! Les estomacs anglais ont à supporter beaucoup de choses ; ils doivent donc, de bonne heure, se préparer aux fatigues de l’indigestion. À cette collation succède un souper tout rustique, du pain, du fromage, de la bière. Alors commence une innocente, mais bruyante bacchanale ; l’heure des chansons est venue. Chaque élève doit chanter à son tour, sous peine d’être condamné à avaler un grand verre d’eau et de sel. Après les chansons viennent les toasts, car il est d’usage de porter la santé des élèves qui quittent l’école à la fin du semestre. Celui dont on va prendre congé est un des chefs de l’école, un des régulateurs suprêmes des jeux et des mœurs, à la fois censeur et édile, le jeune Brooke, à qui l’école, dans son respect, a donné le nom respectueux de pater. Ce père du peuple de Rugby accepte avec reconnaissance le toast porté en son honneur, et, selon l’usage anglais, remercie l’assistance dans un discours où il traite de toutes les matières politiques et sociales touchant à l’école, des réformes introduites par le gouvernement du docteur Arnold, et des incidens qui se sont produits récemment. Écoutons le pater Brooke : il parle avec un mélange de gravité et de facétie que ne désavoueraient pas les orateurs des repas politiques et des dîners officiels du lord maire.

« Gentlemen de l’école, je suis vraiment fier de la manière dont vous avez accueilli mon nom, et je voudrais pouvoir vous dire en retour combien j’en suis reconnaissant ; mais je sens que je ne le pourrais pas. Je ferai donc de mon mieux pour vous exprimer les sentimens d’un camarade prêt à vous quitter, et qui a dépensé ici une bonne tranche (slice) de sa vie : huit années, et huit années, que je n’espère plus revoir ! J’aime à croire que vous allez m’écouter, car je vais parler sérieusement. Vous êtes obligé de m’écouter, car à quoi vous servirait-il de m’appeler pater, si vous ne suivez pas mes conseils ? Je suis aussi fier que personne de cette école ; cependant elle est bien loin d’être ce que je voudrais qu’elle fût. Et d’abord il y a parmi nous beaucoup trop de matamores. Je n’espionne ni n’interviens, parce que cela ne sert à rien qu’à rendre les lâchetés plus hypocrites et plus sournoises, et parce que cela encourage les petits à venir nous faire des rapports le doigt dans l’œil, ce qui rend l’état des choses encore pire. Croyez-moi, il n’y a rien qui brise les liens de l’école comme la brutalité. Un brutal est un