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en apparence, hypocrites en réalité. L’enfant perd ses qualités naturelles et acquiert des vices artificiels, la ruse par exemple, qui n’est jamais que le résultat de la contrainte, et l’habitude du mensonge, qui à l’origine suppose toujours l’intolérance et le droit de la force. Telle est la méthode au moyen de laquelle on essaie depuis quelque cinquante ans de former parmi nous des hommes libres et des citoyens. Les résultats sont médiocres : l’expérience des événemens nous a conduits à reconnaître que si nous avions parmi nous, un grand nombre de révoltés, nous avions peu d’hommes libres, et que si nous comptions beaucoup d’ambitieux et d’intrigans, nous comptions peu de citoyens.

Mais ne poussons pas plus loin la comparaison des deux systèmes d’éducation : la différence s’expliquera d’elle-même et se laissera saisir sans efforts, à mesure que nous recevrons les confidences du vieil écolier du collège de Rugby, et que nous écouterons les anecdotes dont sa mémoire est remplie. Les Années d’école de Tom Brown sont un plaidoyer véhément en faveur du système d’éducation publique de l’Angleterre. Ce plaidoyer n’a rien de didactique, il est présenté sous une forme animée, pittoresque, dramatique. Ce n’est pas l’organisation systématique, c’est la vie de l’école qui nous est racontée dans ce livre, de telle sorte que nous avons sous les yeux, non l’anatomie du système, mais le système lui-même en action, et que nous pouvons le juger d’après ses faits et gestes. Fidèle à ce sentiment de la réalité qui est si vif chez les écrivains anglais, l’auteur a incarné, embodied, ce système dans une réunion d’êtres vivans et agissans ; chacune de ses qualités, chacun de ses vices portent un nom. L’auteur n’est rien moins que logicien, grâce à Dieu, et n’a aucun goût pour les abstractions ; aussi, au lieu de nous inviter à nous prononcer à priori sur les principes du système, il nous invite à le juger à posteriori, sur les résultats. Les principes en effet pourraient arrêter longtemps un logicien déterminé : que de raisons ne peut-on pas donner à priori, lorsqu’on n’a pas consulté l’expérience, contre un système d’éducation qui consiste à laisser aux enfans la plus grande somme possible de liberté ? Mais en présence des faits la logique doit battre en retraite. « Tu jugeras de l’arbre par ses fruits, » cette maxime devrait constamment nous servir de règle de jugement.

Le vieil écolier de Rugby se présente à nous sous le nom de Tom Brown ; mais Tom Brown est un nom générique, emblématique qui désigne, non un écolier déterminé ou une famille particulière, mais toute une classe sociale, la portion la plus active, la plus énergique de la nation anglaise, la classe moyenne, et plus spécialement la bourgeoisie rurale des comtés. En quelques phrases nerveuses