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quand il s’agit de cultiver la terre ; elle nous donne la clé des institutions communales en vertu desquelles la possession temporaire du sol se trouve plutôt imposée comme une charge qu’attribuée comme un bénéfice. Les premières luttes engagées entre les peuplades dispersées sur ce vaste territoire devaient aboutir beaucoup plus à la conquête des hommes, réduits à l’esclavage, qu’à la conquête du sol. C’est le cachet commun des périodes historiques analogues.

Le plus ancien et le plus important recueil de lois russes, le code de Jaroslav, qui date du XIe siècle, offre à chaque page la preuve formelle de l’esclavage auquel était réduite une portion notable de la population. Les esclaves domestiques, qui n’avaient aucun droit civil, formaient la troisième classe, la première étant celle des seigneurs, et la seconde celle des hommes libres. Les plus anciens esclaves furent les prisonniers de guerre et leurs descendans ; mais quand les luttes à main armée, constamment engagées entre les diverses peuplades indigènes, perdirent de leur acharnement, quand les Varègues mirent un terme à cette confusion sanglante et constituèrent un état, des causes nombreuses recrutèrent la population esclave, en privant légalement les hommes de leur liberté.

Les lois de Jaroslav énumèrent les cas où l’on devient esclave. Elles rangent dans la condition servile : 1° tout homme acheté devant témoins, 2° tout débiteur insolvable, 3° celui qui épouse une esclave, 4° celui qui se met volontairement au service d’un autre sans engagement déterminé entre eux, 5° enfin celui qui, étant convenu de servir pendant un certain temps et pour un prix stipulé, prend la fuite, à moins qu’il ne prouve qu’il se rendait chez le prince ou chez le juge pour demander justice des abus commis par le maître. De nombreux règlemens punissent le vol des esclaves et prescrivent la recherche des déserteurs. La tutelle donne au tuteur le droit de s’approprier tout ce que ses soins ont pu ajouter au bien de ses pupilles ; mais la postérité des esclaves appartient aux enfans, ainsi que le croît du bétail. L’homme asservi est mis au niveau de l’animal domestique !

Il est donc évident que l’esclavage existait en Russie sur une échelle développée avant le xi° siècle. L’invasion mongole aggrava l’ancien état de choses : les paysans qui dépendaient directement du pouvoir furent attachés à la terre, afin de répondre du paiement du tribut imposé par le vainqueur. Le servage s’établit ainsi dans les vastes dépendances du domaine, et c’est à ces temps éloignés que remonte la sujétion des paysans de la couronne. La position des cultivateurs soumis à la puissance des seigneurs ne pouvait que s’aggraver sous cette influence. Le malheur des guerres et la misère éclaircissaient les rangs des hommes libres et multipliaient le nombre des hommes asservis.

Le grand-prince Jean III Vassilievitch, dans son code de 1497