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Un trait caractéristique révèle le principe de l’organisation du sol russe : la propriété est évaluée, et les charges publiques sont supportées en Russie, non d’après l’étendue de la terre, mais d’après, le nombre des âmes possédées, c’est-à-dire d’après le compte des individus de tout âge du sexe masculin, les femmes n’entrant point dans le chiffre des âmes. La terre cependant commence à y acquérir de la valeur ; mais elle emprunte la plus grande partie de son prix au travail obligé de l’homme, contraint de la cultiver pour son maître. D’un autre côté, la trace de l’esclavage antique se conserve encore dans la classe nombreuse des hommes attachés au service personnel (dvorovié). Il n’y a aucune exagération à dire qu’en Russie le seigneur est beaucoup plus propriétaire d’hommes que propriétaire du sol.

Signalons ici un phénomène universel qui constitue une loi de l’ordre social, et qui nous donne la clé de la transformation qui se prépare. À mesure que la terre augmente de valeur, la liberté de l’homme se dégage ; ce mouvement se poursuit en Russie, et la question de l’abolition du servage y est arrivée à un point de maturité complète. Depuis une dizaine d’années, un grand nombre d’écrits d’une valeur véritable ont jeté un jour nouveau sur la situation intérieure et les institutions rurales de l’empire. Nous citerons en première ligne le généreux manifeste publié en 1847 par le vétéran et le martyr de la cause de l’affranchissement des paysans, le livre de M. Tourguenef, la Russie et les Russes. Les trois volumes qui le composent, — les Mémoires d’un Proscrit, le Tableau politique et social de la Russie, l’Avenir de la Russie, — se recommandent aux esprits sérieux qui veulent approfondir une des questions vitales de notre époque. L’abolition du servage a été la noble cause à laquelle M. Tourguenef a consacré sa vie, pour laquelle il a subi un long exil ; il a du moins la consolation qui échappe d’ordinaire aux précurseurs des réformes : il assiste à l’application pratique des idées qu’il a courageusement émises.

À ceux qui n’accueilleraient qu’avec défiance les assertions de M. Tourguenef, nous signalerions deux ouvrages portant un cachet semi-officiel, les Études sur les forces productives de la Russie, par M. Tegoborski, conseiller privé et membre du conseil de l’empire de Russie, et les Études sur la situation intérieure, la vie nationale et les institutions rurales de la Russie, par le baron de Haxthausen, qui offrent la confirmation la plus décisive des indications fournies par l’auteur de la Russie et les Russes. Les renseignemens qu’on trouve dans ces deux ouvrages sont d’autant plus précieux, qu’on ne les a point réunis dans l’intention de provoquer l’affranchissement des serfs : ni M. Tegoborski, ni M. le baron de Haxthausen ne s’en proclament les partisans, et cependant tout