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encore doux et caressant avec les inférieurs, mais d’une douceur pleine de mépris et caressant avec des griffes ; tel enfin que nous le voyons aujourd’hui, si ce n’est que l’âge et la maladie ont encore assombri les traits de cet être problématique, scélérat consommé, ou victime d’un étrange concours de funestes apparences. C’est à partir de ce cours d’athéisme et de crime, dont la tsarine a si bien profité pour son compte, et dont il échappa bientôt au vertueux baron de parler avec une complaisance admirative, qu’on le surnomma l’homme de neige, pour exprimer qu’il avait été se geler le cœur en Russie, ou qu’il était venu fondre dans l’opinion publique au soleil plus clair et plus chaud de son pays. La pâleur livide qui bientôt se répandit sur son visage, ses cheveux qui blanchirent de bonne heure, son attitude roide et le froid constant de ses mains gonflées ajoutèrent par des caractères physiques à l’à-propos de ce surnom.

« Mais il ne faut pas que j’anticipe sur les événemens. La métamorphose du baron, qui ne fut peut-être que la lassitude de lutter contre d’injustes soupçons, ne devint frappante qu’après la mort ou la disparition de tous ceux qui pouvaient le gêner. On croit qu’un des premiers traits de son perfectionnement dans la voie de la ruse fut de faire répandre en Suède le bruit d’une maladie mortelle, qui n’avait, dit-on, rien de fondé, et quand on s’est demandé plus tard pourquoi il avait eu cette fantaisie de se donner pour mourant à Pétersbourg, ses ennemis n’ont pu trouver d’autre explication que celle-ci : il voulait ôter toute crainte de lui à la baronne Hilda, afin qu’elle ne vînt pas faire ses couches à Stockholm. Par malheur (je fais toujours parler ici les ennemis d’Olaüs), la baronne donna dans le piège ; elle passa l’été à Waldemora, et quand elle fut assez avancée dans sa grossesse pour que le voyage lui devînt impossible, car elle était devenue très faible à la suite de tant de douleurs, le baron Olaüs parut tout à coup, bien vivant et actif, aux environs du château.

« Voilà, Christian, tout ce que je peux vous raconter comme étant le résumé de l’opinion générale. Le reste n’est plus que de l’histoire secrète, et il nous faudra supposer ou deviner la vérité, en attendant les preuves, s’il en existe, et si on les trouve jamais.

« La baronne fut si épouvantée en apprenant la présence du baron chez le pasteur Mickelson, qu’elle résolut de s’enfermer dans le vieux château, dont l’enceinte, alors fort étroite (on n’avait pas construit le nouveau gaard), pouvait être facilement gardée par un petit nombre de serviteurs fidèles. À la tête de ces serviteurs étaient l’intendant Adam Stenson, déjà vieilli au service du château, et une femme de confiance dont je n’ai pas retenu le nom.