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ans, et ils avaient un fils qu’ils aimaient avec idolâtrie. La douceur de la baronne tempérait ce que l’esprit d’indépendance et l’amour de la vérité avaient d’un peu brusque chez son mari ; on s’attachait à eux, on leur rendait justice ; serviteurs et voisins commençaient à oublier Olaüs en dépit des lettres fréquentes et souvent inutiles qu’il écrivait pour se donner le plaisir de signer le pauvre exilé. Le pasteur Mickelson, ministre de cette paroisse dont vous avez dû voir l’église à une demi-lieue d’ici, fut le plus fidèle à la cause d’Olaüs. Olaüs s’était toujours montré fort pieux. Adelstan avait des principes de tolérance qui blessaient le luthéranisme un peu fanatique du pasteur. Il avait notamment voulu retrancher du service divin le bâton du bedeau, chargé de réveiller les gens qui s’endorment au sermon. La cause fut portée devant l’évêque, qui fit transiger les deux parties. Le bedeau fut autorisé à chatouiller d’une houssine le nez des dormeurs ; il dut abandonner la canne dont il avait coutume de les frapper. Le pasteur ne pardonna cependant pas au baron Adelstan, et surtout à la jeune baronne, qui s’était, dit-on, moquée de cette dévotion dalécarlienne imposée à coups de bâton, une atteinte portée à son pouvoir. Il ne cessa de harceler le jeune iarl et sa femme, et d’exciter contre eux les paysans, très portés à l’intolérance religieuse.

« Cependant le jeune couple poursuivait ses essais de civilisation dans son domaine. Le baron était sévère contre les abus, et chassait sans pitié les gens de mauvaise foi ; mais il avait supprimé le honteux régime des étrivières pour les laquais et les restes humilians du servage de ses paysans. Si le Dalécarlien est généralement bon, il n’est rien moins qu’ami des lumières. Beaucoup d’entre les paysans avaient quelque peine à préférer la dignité personnelle aux vieux abus.

« Un jour, un malheureux jour en vérité, le baron fut forcé par ses affaires de se rendre à Stockholm, et comme c’était le temps des pluies d’automne qui rendent les chemins difficiles, souvent impraticables, il dut laisser sa femme dans son château. En revenant la trouver au bout de la quinzaine, le baron Adelstan fut assassiné dans les gorges de Falun. Il voyageait à cheval, et, dans son impatience de revoir sa chère Hilda, il avait pris les devans, laissant ses gens achever un repas qui lui semblait trop long. Il avait alors trente-trois ans. Sa veuve en avait vingt-quatre.

« Ce meurtre fit grand bruit, et frappa tout le pays de stupeur. Bien que les passions, de nos Dalécarliens soient, dans certaines localités, assez farouches, et que de ce côté-ci, dans la montagne, le duel norvégien au couteau ait encore beaucoup de partisans, l’assassinat lâche et mystérieux est presque sans exemple. On n’osait,