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encore sain et robuste, était mort trop brusquement. Ces faits sont déjà loin et manquent absolument de preuves.

« Ce qu’il y a de certain, c’est qu’au moment où se fit le partage de la succession, on vit éclater une sérieuse mésintelligence entre les deux frères, et, dans une discussion d’intérêts dont mon père fut témoin, il échappa au baron Adelstan de dire à Olaüs, qui lui reprochait assez doucement d’avoir vécu loin de son père et préféré les voyages aux devoirs et aux charges de la famille : « Mon père n’a jamais su ce que valait votre hypocrite affection. Il le sait trop peut-être aujourd’hui, au fond de sa tombe ! » La vivacité d’Adelstan et la modération d’Olaüs firent que mon père blâma hautement l’effroyable soupçon que semblait avoir émis l’aîné. Celui-ci n’insista pas, mais il ne paraît pas qu’il l’ait jamais abjuré. On rapporte de lui beaucoup de mots de ce genre qui demeurèrent sans preuves, mais non pas sans poids, dans la mémoire de quelques personnes de son entourage.

« Le baron Magnus n’avait point fait d’économies qui permissent à l’un des frères de racheter sa part dans la propriété immobilière. Il fut donc question de vendre les terres et le château ; Olaüs ne voulut pas accepter la pension que lui offrait son frère, et qui cependant était plus considérable que celle qu’il offrait lui-même dans le cas où la propriété lui serait adjugée. Il dut néanmoins en passer par là : il ne se présentait pas d’acquéreurs. Ce vaste château, dans un pays reculé aux limites du désert, n’était plus un séjour en harmonie avec les mœurs modernes, qui tendent à se rapprocher de la capitale et des provinces du midi. Mon père réussit à établir clairement les revenus et dépenses de la propriété, en raison de quoi il fixa le chiffre de la rente qui serait servie à l’un des frères par celui qui conserverait la jouissance du domaine, et tous deux consentirent à s’en remettre au sort. Le sort favorisa l’aîné.

« Olaüs n’en témoigna aucun dépit ; mais l’on assure qu’il en éprouva de violens regrets, et qu’il se plaignit à ses confidens de l’injustice de la destinée qui le chassait du manoir de ses pères, lui habitué à la vie des champs et ami du repos, pour donner cette belle résidence à un esprit inconstant et inquiet comme celui d’Adelstan. Par ces plaintes, par des épanchemens familiers, accompagnés de libéralités aux nombreux serviteurs de la maison, il s’y fit un parti qui bientôt menaça de rendre difficile au frère aîné la gestion des affaires et l’autorité domestique.

« Mon père, qui dut passer ici plusieurs semaines pour amener la conclusion des arrangemens, remarqua l’état des choses ; mais il était un peu blasé sur le spectacle monotone des rivalités de famille, et il ne fit peut-être pas au caractère franc et loyal de l’aîné la part