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figure que vous êtes un frère que je ne me connaissais pas, que Dieu m’a envoyé pour un moment, à l’heure de ma détresse. Prenez ainsi notre courte réunion, et disons-nous adieu sans désespérer de l’avenir.

La candeur de Marguerite fit entrer un remords dans l’âme de Christian. D’un moment à l’autre, M. Goefle pouvait revenir, et il était impossible que la jeune comtesse, qui avait si bien remarqué la similitude d’accent et d’organe du faux oncle et du faux neveu, ne fût pas frappée, en les voyant ensemble, de l’absence complète de ressemblance. D’ailleurs M. Goefle ne se prêterait certainement pas à soutenir une pareille supercherie, et il en coûtait à Christian de penser que Marguerite conserverait de lui un mauvais souvenir. Il se confessa donc de lui-même, et avoua que, ne la connaissant pas, il s’était permis la mauvaise plaisanterie de prendre la pelisse et le bonnet du docteur pour jouer son rôle, ajoutant qu’il s’en était vivement repenti en voyant de quelle âme angélique il avait voulu se divertir. Marguerite fut un peu fâchée. Elle avait eu un instant la révélation de la vérité, en entendant Christian lui adresser la parole au bal pour la première fois ; mais il avait l’air si sincère en lui racontant qu’il avait tout entendu de la chambre voisine, qu’elle s’était défendue de ses propres soupçons. — Ah ! que vous savez bien mentir, lui dit-elle, et que l’on serait facilement dupe de vos explications ! Je ne me trouve pas offensée de la plaisanterie en elle-même : en venant ici, je faisais une imprudence et un coup de tête dont j’ai été punie par une mystification ; mais ce qui me rend triste, c’est que vous ayez persisté jusqu’au bout avec tant d’aplomb et de candeur.

— Dites avec remords et mauvaise honte ; une première faute en entraîne d’autres, et…

— Eh quoi ? qu’avez-vous encore à confesser ?

Christian avait été au moment de dire toute la vérité. Il s’arrêta en sentant que le nom de Christian Waldo ferait fuir Marguerite, troublée et indignée. Il se résigna donc à n’être qu’à moitié sincère et à rester Christian Goefle pour la jeune comtesse ; mais cette dissimulation dont il se fût diverti intérieurement à l’égard de tout autre lui devint très pénible lorsqu’elle fixa sur lui ses yeux limpides, attristés par une expression de crainte et de reproche. — J’ai voulu jouer comme un enfant avec un enfant, pensa-t-il ; mais voilà que, malgré nous, le sentiment s’en mêle, et plus il se fait honnête et délicat, plus je me fais coupable…

À son tour, il devint triste, et Marguerite s’en aperçut. — Allons, lui dit-elle avec un sourire de radieuse bonté, ne gâtons pas par des reproches ce joli chapitre de roman qui va finir sans nous laisser moins bien intentionnés tous les deux. Vous n’avez pas abusé de ma confiance pour vous moquer réellement de moi, puisque vous m’avez