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roles : c’est aussi l’opinion de mes compagnes ; mais que sais-je de ce qu’il me dira aujourd’hui, quand je le reverrai ? Qu’il soit méchant ou fou, s’il m’outrage encore, qui prendra ma défense ? Vous ne serez plus là, et personne n’osera…

— Comment ! personne n’osera ? Quels sont donc ces hommes dont vous êtes entourée ? Et ces braves jeunes gens que j’ai vus hier…

— Oui certes, je les crois tels ; mais ils ne me connaissent pas, monsieur Goefle, et peut-être croiront-ils que je mérite les outrages du baron. C’est une assez triste recommandation pour moi que d’être produite dans le monde par ma tante, qui, bien à tort certainement, a la réputation de tout sacrifier à des questions d’intérêt politique.

— Pauvre Marguerite ! dit Christian, frappé de la pénible situation de cette aimable fille.

Comme il était ému sincèrement et n’avait aucune idée de familiarité offensante, Marguerite n’entendit aucune malice à lui laisser prendre sa main, que du reste il quitta aussitôt en revenant au sentiment de la réalité des circonstances.

— Voyons, dit-il, il faut pourtant que vous preniez une résolution ?

— Elle est toute prise. Il n’y a que le premier pas qui coûte. Maintenant j’affronterai le terrible Olaüs en toute rencontre ; je lui dirai son fait devant tout le monde, et je consentirai à passer pour un démon de malice plutôt que pour une favorite de ce pacha dalécarlien. Après tout, je me défendrai mieux toute seule, car si vous étiez là, je craindrais de vous voir prendre mon parti à vos dépens, et je me contiendrais davantage. C’est égal, monsieur Goefle, je n’oublierai jamais les bons conseils que vous m’avez donnés et la manière chevaleresque dont vous avez réprimé cet affreux baron. Je ne sais pas si nous nous reverrons jamais ; mais quelque part que vous soyez, je vous suivrai de tous mes vœux, et je prierai Dieu pour qu’il vous donne plus de bonheur que je n’en ai.

Christian fut vivement touché de l’air affectueux et sincère de cette charmante fille. Il y avait une véritable effusion de cœur dans son regard et dans son accent, sans le plus petit embarras de coquetterie.

— Bonne Marguerite, lui dit-il en portant sa jolie main à ses lèvres, je vous jure bien que, moi aussi, je me souviendrai de vous ! Ah ! que ne suis-je riche et noble ! j’aurais peut-être le pouvoir de vous secourir, et à coup sûr je ferais tout au monde pour obtenir le bonheur de vous protéger ; mais je ne suis rien, et par conséquent je ne peux rien.

— Je ne vous en sais pas moins de gré, reprit Marguerite. Je me