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— Oh ! vous le pouvez bien après tout ce que le hasard m’a entraînée à vous faire savoir de moi… Cette nuit, ma tante m’a fort grondée, et ordre avait été donné à Mlle  Potin de faire mes paquets pour me reconduire aujourd’hui à Dalby ; mais ce matin tout était changé, et après un entretien secret avec le baron, qui a repris, dit-elle, toute sa santé et toute sa gaieté, il a été décidé que je resterais et que je n’aurais, jusqu’à ce soir, qu’à me préoccuper de ma toilette. À propos ! vous savez que nous avons décidément Christian Waldo ? On dit même qu’il est logé ici, au Stollborg. Vous l’avez rencontré, s’il y est ? Vous l’avez vu ?

— Certainement.

— Sans masque ? Ah ! comment est-il ? a-t-il réellement une tête de mort ?

— Pis que cela ! il a une tête de bois.

— Allons donc, vous vous moquez ?

— Nullement. Vous jureriez, à le voir, que sa face a été taillée dans une souche avec un couteau qui coupait mal. Il ressemble à la plus laide de ses marionnettes, tenez, à celle-ci. — Et Christian montra une figure de sbire grotesque qui sortait de la boîte, et que Marguerite eût pu apercevoir d’elle-même, si elle eût été moins préoccupée.

— Ah ! vraiment ! dit-elle avec un peu d’effroi, c’est donc là sa boîte à malice ? Peut-être demeure-t-il avec vous dans cette chambre ?

— Non, tranquillisez-vous, vous ne le verrez pas. Il est sorti, et il a prié M. Goefle de lui permettre de déposer ici son bagage.

— Pauvre garçon ! reprit Marguerite pensive, il est aussi laid que cela ! Croyez donc à ce qu’on dit ! Il y a des gens qui l’ont vu beau. Et il est vieux peut-être ?

— Quelque chose comme quarante-cinq ans ; mais à quoi songez-vous, et pourquoi êtes-vous triste ?

— Je ne sais pas, je suis triste.

— Puisque vous restez au château et que vous verrez ce soir les marionnettes !

— Ah ! tenez, monsieur Goefle, vous me traitez bien trop comme un enfant. Hier, il est vrai, au bal, j’étais gaie, je m’amusais, j’étais heureuse, je me croyais à jamais délivrée du baron ; mais aujourd’hui ma tante a repris ses espérances, je le vois bien, et il faut que je reparaisse devant un homme que je hais franchement désormais. Ne m’a-t-il pas insultée lâchement hier ? Ma tante a beau dire qu’il a voulu plaisanter, on ne plaisante pas avec une fille de mon âge comme avec un enfant. Pour consoler un peu mon orgueil blessé, je me dis qu’il a plutôt parlé dans le délire, et que son attaque de nerfs commençait déjà quand il m’a dit ces grossières pa-