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apercevait la jolie tête, encapuchonnée d’hermine, de la jeune comtesse. Que faire ? Christian aurait-il le courage de lui fermer la porte au nez, ou de lui faire dire par Puffo que le docteur en droit était absent ? — Bah ! Ulf ne manquerait pas de le lui apprendre ; il n’était pas besoin de s’en mêler. Le traîneau allait s’en retourner comme il était venu. Christian restait à la fenêtre, s’attendant à le voir redescendre ; mais il ne redescendit pas, et la porte s’ouvrit. Marguerite parut, et Christian n’eut que le temps de refermer précipitamment la boîte d’où les marionnettes montraient indiscrètement leurs gros nez et leurs bouches riantes.

— Quoi ! monsieur, s’écria la jeune fille avec surprise, vous êtes encore ici ? Voilà une chose à laquelle je ne m’attendais pas ! J’espérais que vous seriez parti !

— Vous n’avez donc rencontré personne dans la cour ? dit Christian, qui n’était peut-être pas fâché de s’en prendre de cette circonstance à la destinée.

— Je n’ai vu personne, dit Marguerite, et comme je viens en cachette, je suis entrée bien vite pour que personne ne me vît ; mais, encore une fois, monsieur Goefle, vous ne devriez pas être ici. Le baron doit maintenant savoir le nom de la personne qui a osé le braver, et je vous jure que vous devriez partir.

— Partir ? vous me dites cela bien cruellement ! mais vous me rappelez qu’en effet je suis parti. Oui, oui, rassurez-vous, je suis parti pour ne jamais revenir. M. Goefle m’ayant fait comprendre que je pouvais l’envelopper dans mes disgrâces, je lui ai promis de disparaître, et vous me trouvez en train de faire mes paquets.

— Oh ! alors continuez, que je ne vous retarde pas !

— Vous êtes donc bien pressée de ne plus jamais entendre parler de moi ? Mais prenez que c’est un fait accompli, que je suis déjà embarqué au moins pour l’Amérique, fuyant à pleines voiles mon redoutable ennemi, et versant quelques pleurs au souvenir de cette première contredanse qui sera en même temps la dernière de ma vie…

— Avec moi ? mais non pas avec d’autres ?

— Qui sait ? le moi qui vous parle en ce moment n’est qu’une ombre, un fantôme, le souvenir de ce qui fut hier. L’autre moi est le jouet des vagues et du destin, je m’en soucie comme d’un habitant de la lune.

— Mon Dieu, que vous êtes gai, monsieur Goefle ! Savez-vous que je ne le suis pas du tout, moi ?

— Au fait, dit Christian, frappé de l’air triste de Marguerite, je suis un misérable de consentir à parler de moi-même, quand je devrais ne m’inquiéter que des suites de l’événement d’hier soir ! Mais daignerez-vous me répondre encore, si je me permets de vous interroger ?