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— Cela, je n’en sais rien, Christian ; je vous jure sur l’honneur que je n’en sais rien du tout, et vous pouvez m’en croire, car si j’avais, dans mes rapports avec lui, acquis la plus légère preuve des choses dont on l’accuse, ces relations n’existeraient plus. Je me soucierais fort peu d’une clientèle lucrative, et je n’épargnerais pas à mon client des vérités dures, qu’elles fussent utiles ou non. Cependant certains bruits sont si accrédités, et les malheurs arrivés à ceux qui ont voulu tenir tête au baron sont si nombreux, que je me suis parfois demandé s’il n’avait pas ce mauvais œil qu’en Italie vous appelez, je crois, gettatura, tant il y a que, pour ne pas attirer sans nécessité sur moi le mauvais sort, vous permettrez que je fasse passer mon neveu pour absent depuis ce matin, c’est-à-dire reparti pour de lointains voyages.

— Du moment que je vous envelopperais dans quelque risque à courir, comptez sur ma prudence. Je ne sortirai pas d’ici sans être masqué ou déguisé de façon à ce que personne ne reconnaisse en moi le galant et trop chevaleresque danseur de cette nuit.

Sur cette conclusion, M. Goefle et Christian Waldo se donnèrent une poignée de main. Nils, dont les fonctions s’étaient bornées à déjeuner pendant leur entretien, fut empaqueté de fourrures par son maître, qui eut à le placer sur le siège de son traîneau et à lui mettre en main le fouet et la bride ; mais une fois installé, Nils partit comme une flèche et descendit le rocher avec beaucoup d’adresse et d’aplomb. Conduire un cheval était la seule chose qu’il sût faire, et qu’il fît sans réclamer.

Quant à Ulf, M. Goefle lui ayant donné, avant de partir pour le château neuf, des ordres en conséquence, il prépara pour Christian le lit où avait couché Nils, et pour celui-ci un vaste sofa où il pourrait prendre ses aises ; après quoi Ulf, toujours discret à l’endroit de sa désobéissance, alla s’occuper du service de son oncle sans lui faire aucunement part de la présence de ses hôtes au donjon.

VII.

On n’a peut-être pas oublié que le vieux Stenson habitait un corps de logis situé au fond de la seconde petite cour ou préau dont se composait avec la première enceinte, un peu plus vaste, le manoir délabré du Stollborg. L’histoire de cet ancien château était une légende ; à l’époque de l’établissement du christianisme en Suède, il avait poussé tout seul sur le rocher dans l’espace d’une nuit, parce que le châtelain, alors païen, se voyant menacé, dans sa maison de bois, d’être emporté au fond du lac par une violente tempête d’automne, avait fait vœu d’embrasser la religion nouvelle, si le ciel le préservait du coup de vent. Déjà le toit venait d’être emporté ; mais