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— Après tout… je le comprends, dit le docteur ; mon imagination, qui n’est pas plus engourdie que celle d’un autre, me représente assez le plaisir romanesque de cette vie nomade et insouciante. Pourtant vous aimez le monde, et ce n’est pas pour aller explorer les glaces à l’heure de minuit que vous m’avez emprunté ma garde-robe de cérémonie ? …

En ce moment, la porte s’ouvrit, et Ulphilas, à qui M. Goefle avait sans doute donné des ordres, vint l’avertir que son cheval était attelé à son traîneau. Ulf paraissait complètement dégrisé.

— Comment ? s’écria le docteur avec surprise, quelle heure est-il donc ? Midi ? ce n’est pas possible ! cette vieille horloge radote ; mais non, dit-il en regardant à sa montre, il est bien midi, et il faut que j’aille m’entretenir avec le baron de ce gros procès pour lequel il m’a fait venir. Je m’étonne que, me sachant arrivé, il n’ait pas encore songé à faire demander de mes nouvelles ! …

— Mais M. le baron a envoyé, répondit Ulf ; ne vous l’ai-je point dit, monsieur Goefle ?

— Nullement !

— Il a envoyé, il y a une heure, en faisant dire qu’il s’était trouvé indisposé cette nuit, sans quoi il serait venu lui-même…

— Ici ? Tu exagères la politesse du baron, mon cher Ulf ! Le baron ne vient jamais au Stollborg !

— Bien rarement, monsieur Goefle, mais…

— Ah çà ! et le père Stenson, il n’y a donc pas moyen de le voir ? Avant de me rendre au château, je vais lui faire une petite visite à ce digne homme ! Est-il toujours aussi sourd ?

— Beaucoup plus, monsieur Goefle ; il n’entendra pas un mot de ce que vous lui direz.

— Eh bien ! je lui parlerai par signes.

— Mais, monsieur Goefle, … c’est que mon oncle ne sait pas encore que vous êtes ici.

— Ah ! oui-dà ! Eh bien ! il l’apprendra.

— Il me grondera beaucoup de ne pas l’avoir averti, … et d’avoir consenti…

— À quoi ? À me laisser loger ici, n’est-ce pas ? Eh bien ! tu lui diras que je me suis passé de ta permission.

— Figurez-vous, ajouta M. Goefle en français et en s’adressant à Christian, que nous sommes ici en fraude et à l’insu de M. Stenson, l’intendant du vieux château. Une chose très bizarre encore, c’est que ledit M. Sten, ainsi que son estimable neveu ici présent, ne laissent qu’avec répugnance habiter cette masure, tant ils sont persuadés qu’elle est hantée par des esprits chagrins et malfaisans…

La figure de M. Goefle devint tout à coup sérieuse d’enjouée qu’elle était, comme si, habitué à rire de ces choses, il commençait