Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas de ma baraque, je n’ai pas de raisons pour ne pas mettre adroitement, et en prenant les plus simples précautions pour dérouter les curieux, mon visage à découvert. Je ne suis pas un personnage assez important pour qu’on s’acharne à me voir, et le petit mystère dont je m’enveloppe est pour beaucoup dans la vogue que j’ai acquise. Après tout, je ne pousse pas le préjugé de l’homme du monde au point de me désoler si quelque jour mon masque tombe dans la rue, et qu’un passant vienne par hasard à reconnaître le très obscur adepte de la science qui, sous un autre nom, vaque à ses études à d’autres heures et dans d’autres endroits de la ville.

— Ah ! voilà précisément ce que vous ne m’avez pas dit. Vous aviez, dans l’occasion, à Stockholm, un autre nom que celui de Christian Waldo, et un autre domicile que celui où résidaient Jean, Puffo, et le reste de la troupe dans ses boîtes ?

— Précisément, monsieur Goefle. Quant au nom, vous voulez donc absolument tout savoir ?

— Certainement ! vous méfiez-vous de moi ?

— Oh ! si vous le prenez ainsi, je m’exécute avec empressement. Ce nom n’est autre que celui de Dulac ; c’est la traduction française de mon premier nom de fantaisie, del Lago ; c’est celui que j’avais pris à Paris pour ne pas attirer sur moi, par quelque malheureux hasard, la vengeance de l’ambassadeur de Naples.

— Fort bien ! et vous avez, sous ce nom, établi quelques bonnes relations à Stockholm ?

— Je n’ai pas beaucoup essayé, rien ne presse. Je voulais d’abord bien connaître les richesses de la ville en fait d’art et de science, et puis la physionomie des habitans, leurs goûts, leurs usages ; or, pour un étranger sans relations, il est très facile d’étudier les mœurs et les idées d’un peuple dans les centres de réunion publique. C’est ce que j’ai fait, et maintenant je voudrais connaître toute la Suède, afin de revenir me présenter à Stockholm et à Upsal aux principaux savans, à M. de Linnée surtout. D’ici là, j’aurai reçu les lettres de recommandation que j’ai demandées à Paris, et dans tous les cas j’aurai peut-être quelque chose d’intéressant à dire à cet homme illustre. Je pourrai récolter au loin des objets qui lui auront échappé, et lui faire quelque plaisir en les lui offrant. Il n’est pas de voyage qui n’amène d’utiles découvertes ou d’utiles observations sur les choses déjà signalées. C’est en apportant aux grands maîtres le tribut de ses études et le résultat de ses recherches qu’un jeune homme a le droit de les aborder ; autrement ce n’est qu’une satisfaction de vanité ou de curiosité qu’il se procure et un temps précieux qu’il leur dérobe. Quant à la police, car vous m’avez fait aussi une question à cet égard, elle m’a laissé fort tranquille après un rapide interrogatoire où j’ai répondu apparemment avec une franchise satis-