Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/277

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de tout marin du littoral méditerranéen, livornese est synonyme de pirate. Celui-ci justifiait peut-être le préjugé : il avait été marin et quelque peu flibustier. Il était maintenant saltimbanque.

« Je l’écoutais avec assez peu d’intérêt, car il racontait mal, et ces histoires d’aventuriers ne valent que par la manière dont on les dit ; au fond, à bien prendre, elles se ressemblent toutes. Cependant, comme cet homme me parlait de son théâtre improductif, je lui demandai quelle sorte de représentations il donnait. — Mon Dieu, me dit-il, voilà ce que c’est, et c’est bien la plus mauvaise affaire que j’aie faite de ma vie ! Le diable emporte celui qui me l’a mise en tête ! — En parlant ainsi, il tira de son sac une marionnette, qu’il jeta avec humeur sur la table.

« Je laissai échapper un cri de surprise : cette marionnette, hideusement sale et usée, c’était mon œuvre, c’était un burattino de ma façon ! Que dis-je ? c’était mon premier sujet, mon chef de troupe ; c’était mon spirituel et charmant Stentarello, la fleur de mes débuts dans les bourgades de l’Apennin, la coqueluche des belles Génoises, le fils de mon ciseau et de ma verve, la colonne de mon théâtre !

« — Quoi, misérable ! m’écriai-je, tu possèdes Stentarello, et tu n’en sais pas tirer parti !

« — On m’avait bien assuré, répondit-il, qu’il avait rapporté beaucoup d’argent en Italie, et celui qui me l’a vendu à Paris m’a dit le tenir, ainsi que le reste de la troupe, d’un signor italien bien mis, qui prétendait avoir fait sa fortune avec… C’est peut-être vous ?

« Il me raconta alors comme quoi il avait eu quelque succès en France, dans les carrefours, avec notre théâtre et le personnel, que, sachant plusieurs idiomes étrangers, il avait voulu voyager, mais que, n’ayant pas de bonheur, il avait été de mal en pis jusqu’au moment où je le rencontrais, décidé à vendre la boutique et à se livrer à l’instruction d’un ours qu’il allait tâcher de se procurer dans la montagne.

« — Voyons, lui dis-je, montre-moi ton théâtre et ce que tu sais faire.

« Il me conduisit dans une grange où je l’aidai à mettre son matériel sur pied. Je reconnus là, mêlés à d’ignobles marionnettes de rencontre et couverts de haillons et de meurtrissures, les meilleurs sujets de ma troupe. Puffo me joua une scène pour me donner un échantillon de son talent. Il maniait ces burattini avec dextérité et ne manquait pas d’une certaine verve grossière ; mais j’avais le cœur vraiment percé de douleur en voyant mes acteurs tombés en de telles mains et réduits à jouer de tels rôles. En y réfléchissant cependant,