violent de liberté, de locomotion, et surtout d’initiative. Bien que j’eusse à me louer de ceux qui m’avaient employé jusqu’à ce jour, je me sentais si peu fait pour la dépendance, que j’en étais réellement malade.
« Comus me mit en rapport avec plusieurs personnes illustres, avec MM. de Lacépède, Buffon, Daubenton, Bernard de Jussieu. Je prenais un vif intérêt aux rapides et magnifiques progrès du Jardin-des-Plantes et du cabinet zoologique, dirigés et enrichis chaque jour par ces nobles savans. Je voyais arriver là à tout instant les dons magnifiques des riches particuliers et les précieuses conquêtes des voyageurs. Il me prit une irrésistible ambition de grossir le nombre de ces serviteurs de la science, humbles adeptes qui se contentaient d’être les bienfaiteurs de l’humanité sans demander ni gloire ni profit. Je voyais bien le grand homme à manchettes, M. de Buffon, profiter largement, pour le compte de sa vanité, des travaux patiens et modestes de ses associés. Qu’importe qu’il eût ce travers, qu’il voulût être monsieur le comte et réclamer les droits féodaux de sa seigneurie, qu’il se louât lui-même à tout propos, en s’attribuant le mérite de travaux qu’il n’avait fait souvent que consulter ? C’était son goût. Ce n’était pas celui de ses généreux et spirituels confrères. Ils souriaient, le laissaient dire, et travaillaient de plus belle, sentant bien qu’il ne s’agissait pas d’eux-mêmes dans des questions qui ont pour but l’avancement du genre humain. Ils étaient ainsi plus heureux que lui, heureux comme l’entendait Comus, comme j’aspirais à l’être. Leur part me semblait la meilleure, j’avais soif de marcher sur leurs traces. J’offris donc mes services, après avoir profité, autant que possible, de leurs leçons publiques et de leurs entretiens particuliers. Mon zèle ardent et mon aptitude pour les langues parurent à M. Daubenton des conditions de succès à encourager. Ma pauvreté était le seul obstacle. La science devient riche, me disait-il avec orgueil en contemplant l’accroissement du cabinet et du jardin ; mais les savans sont un peu trop pauvres quand il s’agit de voyager. Pour eux, la vie est rude sous tous les rapports, soyez bien préparé à cela.
« J’y étais tout préparé. J’avais réussi à économiser une petite somme, qui, dans mes prévisions, pouvait me mener loin, d’après le genre de vie frugal devant lequel je ne reculais pas. Je me fis donner une mission scientifique en règle, afin de ne pas être pris pour un vagabond ou pour un espion dans les pays étrangers, et je partis sans vouloir m’inquiéter de mes moyens d’existence au-delà d’une année. La Providence devait pourvoir au reste. J’eusse pu cependant, avec les pièces qui constataient le but innocent et respectable de ma vie errante, obtenir quelque assistance pécuniaire