ner des coups de canne. Le lendemain, il m’écrivit pour me demander pardon ; mais j’étais las de lui, et comme je le rencontrais partout, quelquefois même en bonne compagnie (Dieu sait comment il venait à bout de s’y introduire), je craignis d’être compromis par quelque filouterie de son fait. Je ne me sentis pas l’égoïste courage de faire chasser honteusement un homme que j’avais aimé, je préférai me retirer moi-même et quitter la partie. Heureusement j’étais enfin à même d’avoir quelques bonnes recommandations, entre autres celle de Comus, qui, à cette époque, faisait fureur à Paris avec ses représentations de catoptrique, c’est-à-dire de fantasmagorie par les miroirs, où, au lieu de montrer des spectres et des diables, il ne faisait apparaître que des choses agréables et de gracieuses images. Ses grands talens et l’habitude de l’observation lui avaient donné une telle connaissance de la physiologie de l’homme et du cœur humain, qu’il lisait dans les pensées et semblait doué du sens divinatoire. Enfin l’étude profonde de l’algèbre le mettait à même de résoudre, sous la forme de tours divertissans et ingénieux, des problèmes que le vulgaire ne pouvait approfondir, et que beaucoup de personnes assimilaient à la magie.
« Nous vivons dans un temps de lumières où, par un singulier contraste, le besoin du merveilleux, si puissant et si déréglé dans le passé, lutte encore, dans beaucoup d’esprits, contre l’austérité de la raison. Vous en savez quelque chose ici, où votre illustre et savant Swedenborg est consulté comme un sorcier encore plus que comme un voyant, et se laisse aller lui-même à se croire en possession des secrets de l’autre vie. Comus est un homme, je ne dirai pas plus convaincu et plus vertueux que Swedenborg, dont je sais qu’il ne faut parler qu’avec respect, mais plus sage et plus sérieux. Il ne croit pas agir en vertu d’autres lois que celles que le génie humain peut découvrir, et ses secrets sont généreusement livrés par lui aux savans et aux voyageurs qui doivent en tirer parti dans l’intérêt de la science.
« Il me reçut avec bonté, et m’offrit de m’emmener en Angleterre pour l’aider dans ses expériences. Je fus bien tenté d’accepter, mais mon rêve me poussait à la minéralogie, à la botanique et à la zoologie, en même temps qu’à l’étude des mœurs et des sociétés. L’Angleterre me paraissait trop explorée pour m’offrir un champ d’observations nouvelles. Et puis Comus était alors absorbé par une étude spéciale où je ne sentais pas devoir lui être utile. Il allait à Londres pour faire confectionner sous ses yeux des instrumens de précision qu’il n’avait pu faire établir en France d’une manière satisfaisante. L’idée de passer un ou deux ans à Londres ne me souriait pas. J’étais las du séjour d’une grande ville. J’éprouvais un besoin