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ques opuscules qui ne me rapportèrent rien du tout, mais qui me donnèrent quelque considération dans un petit monde d’obscurs et modestes savans. J’eus l’honneur de fournir indirectement des matériaux pour certains articles de l’Encyclopédie, sur les sciences naturelles et sur les antiquités de l’Italie. Un marquis bel esprit me prit pour secrétaire, et m’habilla décemment. Dès lors je fus à flot. Si l’habit n’est pas tout en France, on peut au moins dire que l’apparence d’un homme aisé est indispensable à quiconque ne veut pas rester dans la misère. Alors, grâce à mon marquis et à mon habit, le monde se rouvrit devant moi. C’était là un grand écueil où je risquai encore de me briser. Ne me prenez pas pour un sot si je vous dis que ma personne se fût mieux tirée d’affaire, si elle eût été aussi disgracieuse que celle de votre ami Stangstadius. Un homme bien fait et sans le sou trouve partout, dans le monde d’aujourd’hui, la porte ouverte à la fortune… et à la honte. Quelque prudence que l’on garde, il faut bien rencontrer sous ses pas, à chaque instant, la vorace et industrieuse fourmilière des femmes galantes. Sans le souvenir de ma chaste et fière Sofia, je me serais probablement laissé entraîner dans le labyrinthe de ces animaux insinuans et travailleurs.

« Je triomphai de ce danger ; mais au bout d’un an de séjour à Paris, et au moment où j’allais peut-être m’y faire une position indépendante par mon travail et mon économie, je sentis un extrême dégoût de cette ville et un invincible désir de voyager. Massarelli était la cause principale de ce dégoût. Il n’avait pu supporter, comme moi, les privations et les angoisses de l’attente. Il avait, dans les premiers jours de misère, enlevé de chez moi le théâtre des marionnettes, et il avait essayé de gagner sa vie dans les carrefours avec des gens de la pire espèce. Malheureusement il ne s’était pas attaché comme moi à corriger son accent, et il n’eut aucun succès. Il me retomba bientôt sur les bras, et j’eus à le nourrir et à le vêtir pendant plusieurs mois, qui furent bien difficiles à passer. Ensuite il disparut de nouveau, bien qu’il m’eût renouvelé ses beaux sermens et qu’il eût essayé de travailler avec moi. Cependant je ne fus pas délivré de lui pour cela. Il ne se passait pas de semaines qu’il ne vînt, quelquefois ivre, me dévaliser. Je lui fermais la porte au nez ; mais il s’attachait à mes pas. Il fit enfin deux ou trois infamies moyennant lesquelles, ayant gagné quelque argent, il voulut me rendre tout ce que je lui avais donné, et en outre partager avec moi en frère, pleurer encore une fois dans mon sein ses larmes de vin et de repentir. Son argent et ses attendrissemens me dégoûtaient, je les repoussai. Il se fâcha, il voulut se battre avec moi ; je refusai avec mépris. Il voulut me souffleter ; je fus forcé de lui don-