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et les moyens d’appliquer le fruit de ses hautes connaissances à de grands résultats.

« Il m’arriva donc de rencontrer l’illustre Comus, non pas tout à fait sur la place publique de Lyon, mais dans un local destiné à diverses représentations d’operanti ambulans, que chacun de nous allait louer pour son compte. Habitué aux façons ridicules ou grossières de ces sortes de concurrens, je me tenais, comme toujours, sur le qui-vive, quand Comus m’aborda le premier avec des manières dont le charme et la distinction me frappèrent. C’était un homme d’environ trente-cinq ans, d’une constitution magnifique, aussi vigoureux de corps que d’esprit, aussi agile de ses membres qu’il était facile et attachant dans son langage, enfin un de ces êtres admirablement doués qui doivent sortir de l’obscurité. Il s’enquit de mon industrie et parut étonné que je fusse assez instruit pour pouvoir causer avec lui. Je lui confiai les circonstances où je me trouvais, et il me prit en amitié.

« Quand il eut assisté à notre représentation, à laquelle il prit grand plaisir, il nous invita à voir la sienne, dont je tirai grand profit, car il avait plusieurs secrets qui sont bien à lui et qui ne sont autres qu’une application, entre mille, de découvertes d’une rare importance. Il voulut bien me les expliquer, et, me trouvant assez capable, il m’offrit de partager ses destins et aventures. Je refusai à regret et à tort : à regret, parce que Comus était un des hommes les meilleurs, les plus désintéressés et les plus sympathiques que j’aie jamais connus ; à tort, parce que ce physicien ambulant devait trouver bientôt l’emploi utile et sérieux de ses grands talens. J’avais juré à Massarelli de ne pas l’abandonner, et Massarelli n’avait aucune inclination pour les sciences.

« Cette rencontre, dont je ne sus pas profiter pour mes intérêts matériels, me fut cependant si utile au point de vue moral, que je bénirai toujours le ciel de l’avoir faite. Il faut que je vous résume aussi brièvement que possible les avis que cet habile et excellent homme voulut bien me donner, gaiement, amicalement, sans pédantisme, durant un sobre souper que nous fîmes ensemble à l’auberge, au milieu des caisses qui contenaient notre bagage : nous devions nous séparer le lendemain. — Mon cher Goffredi, me dit-il, je regrette de vous quitter si vite, et le chagrin que vous en éprouvez, je le partage véritablement. Le peu de jours que nous avons passés ensemble m’a suffi pour vous connaître et vous apprécier ; mais ne soyez pas inquiet ni découragé de votre avenir. Il sera beau s’il est utile, car, voyez-vous, je vais vous tenir un langage tout opposé à celui du monde, et dont vous reconnaîtrez le bon sens, si vous faites comme je vous conseille. D’autres vous diront : Sacrifiez tout