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il faut l’avouer, jamais résultat n’aura été plus désirable ni châtiment mieux mérité.

Hélas ! nous aussi, nous avons en un certain sens nos préraphaélites, et nous n’hésiterions pas à formuler quelque vœu semblable sur l’avenir de leur doctrine, si cette doctrine existait à vrai dire ; si ce titre de réalistes,choisi par ceux qui ne demandent pas à la matière de penser, qui ne lui demandent que d’être, impliquait rien de plus qu’un simple non-sens et des intentions, après tout, assez bénignes. Ici nulle innovation, nul étalage de théories. En reprenant sans bruit, sans gros livres, sans programme altier, quelque chose de l’œuvre tentée autrefois par Michel-Ange de Caravage et par Valentin, le réalisme contemporain n’aspire pas, que nous sachions, à renouveler l’art de fond en comble, ni même à régenter l’école française : il voudrait, sauf à n’être pris fort au sérieux par personne, détourner sur soi un peu de l’attention que nous accordons volontiers à tout ce qui s’affiche sous une étiquette quelconque, à ce qui, même aux dépens du reste, offre quelque apparence de nouveauté. L’humilité du dogme réaliste suffit-elle pour nous rassurer, et n’y a-t-il là, dans l’avenir, que des fantaisies à peu près inoffensives ? Nous ne demandons pas mieux que de le croire, tout en appréciant le danger d’une sécurité trop grande sur ce point. La santé de l’esprit peut perdre quelque chose à ce contact, même momentané, avec l’erreur, et le plus sage serait sans doute de s’isoler complètement d’une atmosphère où notre goût au moins risque c ! e se vicier. Les grands exemples contemporains commencent à nous manquer ; la mort fait chaque jour quelque vide nouveau dans notre école : est-ce le moment de fermer les yeux au mal, et ne devons-nous pas au contraire redoubler de vigilance pour en prévenir l’envahissement ? Encore une fois, le réalisme n’aura pas raison de notre passé, de nos instincts, de nos souvenirs anciens et récens. Il ne saurait s’implanter sur les ruines de l’art français, de l’art de Poussin et de Lesueur, continué jusqu’ici par tant de disciples fidèles ; mais c’est trop que d’avoir à subir de pareilles tentatives, dussent-elles, comme nous l’espérons, n’aboutir qu’à une émotion passagère. Quant au préraphaélitisme anglais, il a, on ne peut le méconnaître, des appétits bien autrement révolutionnaires. Il en veut à l’art de tous les temps et de tous les pays, aux renommées les plus hautes, aux principes le plus universellement respectés : si rassuré que l’on puisse être sur l’issue des deux entreprises, on doit avoir à cœur d’en signaler l’audace ou la pauvreté. C’est par l’exemple de Raphaël lui-même qu’il nous a paru opportun de combattre ces funestes doctrines et ces tristes ambitions.


HENRI DELABORDE.