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chez la plupart des artistes toscans ou romains des habitudes un peu trop résignées, une tendance trop peu combattue à s’accommoder de l’inaction, c’est à la condition d’honorer, ce qu’ils gardent plus pieusement, ce qu’ils portent aussi haut que personne, — le sentiment de la dignité nationale, l’instinct et l’enthousiasme du beau, la mémoire et le culte des chefs-d’œuvre.

On ne saurait en dire autant de la nouvelle école anglaise, au moins en ce qui concerne le respect des origines et des ancêtres. Reynolds lui-même, — le Raphaël, toute proportion gardée, d’un groupe d’artistes dont Thomas Hudson serait le Pérugin et Lawrence le Jules Romain, — Reynolds est jugé avec une rigueur excessive par M. Ruskin et par ses adhérens, qui ne montrent à l’égard de Wilson, ni plus d’indulgence ni plus de justice. Libre à eux, au surplus. S’ils veulent renier les gloires qui leur appartiennent, s’il leur plaît en revanche de saluer dans M. Turner le messie de l’art anglais, dans M. Hunt et dans M. Millais les apôtres du nouvel évangile, c’est à de plus intéressés que nous dans la question à défendre un passé moins riche sans doute que celui des autres écoles, et qui cependant n’est pas sans honneur. Mais que l’esprit de révolte ose viser beaucoup plus haut, que la négation même de l’art revête la forme d’un traité d’esthétique, et le mépris pour les grands artistes l’apparence d’une opinion légitime, — voilà qui devient plus dangereux, et qui nous trouvera moins aisément résigné. N’exagérons rien toutefois : l’excès du mal peut engendrer quelque bien. Peut-être, même en Angleterre, de nouveaux théoriciens surgiront-ils qui, au lieu d’user leur temps et leurs paradoxes à la critique impossible des anciens chefs-d’œuvre, à la glorification compromettante de quelques talens contemporains, comprendront qu’il est plus logique, et surtout plus utile, de prêcher la vérité au nom des maîtres que de proscrire ceux-ci au nom de la vérité. Peut-être M. Millais et les autres jeunes artistes dont le talent s’égare aujourd’hui se lasseront-ils de leur attitude de sectaires, et se décideront-ils à consacrer à l’étude du vrai les forces qu’ils dépensent dans une lutte stérile avec le réel. L’école anglaise, livrée depuis le commencement du siècle au goût conventionnel et factice, aura pu ainsi tirer quelque profit de son radicalisme actuel. Quant au préraphaélitisme proprement dit, après avoir excité quelque temps dans le public une sorte de curiosité, cette doctrine, qui tire son unique valeur de l’excentricité des principes, ne réussira même plus à scandaliser personne. Il adviendra d’elle ce qui est advenu déjà de certaines petites églises qui ont essayé parfois de s’installer sur les ruines des dogmes consacrés et des vérités éternelles. Comme la secte des théophilanthropes succombait, il y a soixante ans, sous le poids de l’indifférence et du ridicule, le préraphaélitisme tombera bientôt dans le discrédit et l’oubli, et,