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dans vos montagnes porte la trace des cataclysmes perpétuels du printemps et de l’automne. Là-bas, toute terre est sûre de conserver longtemps sa forme, et toute plante de mûrir dans le sol où elle a pris naissance. On y respire en quelque sorte avec l’air la douceur des instincts, et l’éternel bien-être de la nature s’insinue dans l’âme sans la confondre et sans l’ébranler. »

— Vous avez la corde poétique, c’est fort bien vu, dit M. Goefle ; mais les habitans de ces beaux climats ne sont-ils pas malpropres, paresseux et volontairement misérables ?

— Dans toute misère, il y a moitié de la faute des gouvernans et moitié de celle des gouvernés ; le mal n’est jamais d’un seul côté. C’est ce qui fait, je crois, que le bien ne se fait pas ; mais, dans ces beaux climats, la misère engendrée par la paresse trouve son excuse dans la volupté de la vie contemplative. J’ai vivement senti, dès mon adolescence, le charme enivrant de cette nature méridionale, et je l’appréciais d’autant plus que je sentais aussi en moi des accès d’activité fiévreuse, comme si en effet je fusse né à cinq cents lieues de là, dans les pays froids, où l’esprit commande davantage à la matière.

— Donc vous n’étiez pas précisément paresseux ?

— Je crois que je ne l’étais pas du tout, car mes parens me voulaient savant, et, par affection pour eux, je faisais de grands efforts pour m’instruire. Seulement je me sentais porté vers les sciences naturelles, en même temps que vers les arts et la philosophie, bien plus que vers les recherches ardues et minutieuses de mon savant Goffredi. Je trouvais ses études un peu oiseuses, et ne pouvais me livrer comme lui à une joie délirante, quand nous avions réussi à déterminer l’emploi d’une borne antique et à déchiffrer le sens d’une inscription étrusque. Il me laissa du reste parfaitement libre de suivre l’impulsion de mes aptitudes, et me fit la plus douce existence qu’il soit possible d’imaginer. Je dois entrer ici dans quelque détail sur cette époque de ma vie où, de l’enfance à la jeunesse, je sentis s’éveiller en moi les facultés de l’âme.

« Pérouse est une ville universitaire et poétique, une des belles et doctes cités de la vieille Italie. On peut y devenir à volonté savant ou artiste. Elle est riche en antiquités et en monumens de toutes les époques ; elle a de belles bibliothèques, une académie des beaux-arts, des collections, etc. La ville est belle et pittoresque ; elle compte plus de cent églises et cinquante monastères, tous riches en tableaux, manuscrits, etc. La place du Dôme est remarquable ; c’est là qu’en face d’une riche cathédrale gothique, d’une fontaine de Jean de Pise, qui est un chef-d’œuvre, et d’autres monumens de diverses époques, se dresse un grand palais dans le style vénitien.