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d’un demi-raccourci, garde cependant en partie le caractère et l’aspect accoutumés. Quelque indécision dans le coup d’œil, et le desso, s’immobilise ou s’alourdit ; quelque excès de clairvoyance au contraire, et ce qui devait indiquer un mouvement délicat se résout en agitation pédantesque. Le grand point en pareil cas est de réussir à faire deviner la structure intérieure sans l’expliquer outre mesure, et de tenir compte des déformations partielles de l’enveloppe sans en fausser pour cela le principe. Il faut enfin, ici comme dans le domaine littéraire, savoir trouver le mot unique, la seule nuance qui corresponde exactement à la subtilité de l’intention, et se garder aussi bien des expressions forcées que des termes d’à peu près.

Certains détails du Marsyas — l’attache du cou et des épaules, les bras et les mains, dont le mouvement est rendu avec une merveilleuse justesse, et en général toutes les parties supérieures de la figure, — sont des spécimens achevés de cet esprit de précision et de réserve. C’est ce que l’on peut dire aussi du paysage servant de fond à la scène, des terrains formant le premier plan et des divers accessoires qui, depuis la lyre et le carquois d’Apollon jusqu’aux oiseaux volant dans le ciel, intéressent le regard sans le distraire du sujet principal et se subordonnent à l’effet de l’ensemble sans rien perdre pour cela de leur signification propre : mérite rare surtout à cette époque où l’art florentin, un peu entravé encore par les traditions du moyen âge, hésitait, dans la représentation des objets secondaires, entre une simplicité d’exécution parfois excessive et une exactitude trop minutieuse. Il appartenait à Raphaël de concilier, en face de la nature inanimée, l’ampleur du style inauguré par les giotteschi et la pénétrante sagacité des peintres du XVe siècle. Ajoutons qu’en s’appropriant les qualités diverses des grands dessinateurs ses devanciers, il empruntait aussi aux coloristes ses contemporains cette fermeté de ton et d’effet dont les écoles lombarde et vénitienne semblaient seules posséder le secret. Le paysage, dans Apollon et Marsyas, résume les progrès accomplis jusqu’alors par les maîtres, si différentes qu’aient pu être les aspirations et la méthode de chacun d’eux. Le ciel, clair et doré comme les ciels de Carpaccio, baigne d’une chaude lumière les montagnes qui s’étagent à l’horizon et les terrains dégradés dans cette gamme de tons un peu roux qu’affectionnaient Cima da Conegliano et Jean Bellin. Vers le milieu du tableau, un chemin sablonneux serpente entre des tertres d’où s’élancent des arbrisseaux dessinés dans le style du Pérugin, et se perd derrière les plans savamment compliqués au-delà desquels on aperçoit les sinuosités d’une rivière, puis un château flanqué de tours et de tourelles : demeure toute féodale, assez dépaysée il est vrai dans ce sujet mythologique, mais, au point de vue