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de pareilles fantaisies lyriques le même écrivain, le même poète, devrais-je dire, n’ait pas craint d’attribuer le rôle d’un Giotto moderne à M. Millais[1], — le peintre de cette Mort d’Ophelia que nous avons tous vue à Paris il y a trois ans, sans nous douter probablement que tant de petites fleurs et de petites herbes, tant de minutie dans le style, tant d’exiguïté dans le sentiment, pouvaient équivaloir à la manière sobre et ferme, à l’ample majesté du trecentista florentin. Savions-nous du moins que « le tableau de M. Hunt, Isabella and Claudio, l’emporte à certains égards sur tout ce qui a été produit dans les diverses périodes de l’art[2] ? » Quant à Raphaël, il ferait bien apparemment, s’il ressuscitait aujourd’hui, d’étudier, comme tous ses confrères, Isabella and Claudio ; mais il aurait avant tout un compte sévère à rendre des méfaits qu’il a commis ou provoqués, méfaits que nous étions exposés à ignorer longtemps encore, si M. Ruskin n’avait eu le don de les apercevoir et le courage de les dénoncer. Cela s’explique : il est bien difficile par exemple, quand on visite la Chambre de la Signature au Vatican, de reconnaître dans cette chambre l’antre même d’où sont sortis les fléaux qui ravagent l’art depuis trois siècles. Faute d’avertissement contraire, on se croit généralement en face de radieux chefs-d’œuvre dignes de leur renommée universelle, et l’on s’avise d’autant moins de résister à l’admiration qu’on éprouve, que le consentement de tous autorise de reste cette impression personnelle. M. Ruskin n’entend pas que l’erreur se prolonge : « Ne voyez-vous pas, s’écrie-t-il, que Raphaël a figuré côte à côte, sur ces murs, le royaume de la théologie, où règne le Christ, et le royaume de la poésie, où trône Apollon ? C’est dans ce lieu, c’est à cette heure que la décadence intellectuelle et la décadence de l’art ont commencé pour l’Italie[3]. » Tenons-nous-le pour dit, bien que tout le mal peut-être ne soit pas venu de là, et que l’on puisse trouver dans des monumens antérieurs, dans le poème de Dante entre autres, quelques symptômes d’une « décadence » analogue. On pourrait objecter encore que, si voisines qu’elles soient l’une de l’autre, ces deux fresques, — la Dispute du Saint-Sacrement et le Parnasse, — se recommandent après tout par l’appropriation du style, par l’élévation du sentiment et la perfection de la forme, en un mot par un incomparable ensemble de toutes les qualités qui font le peintre ; mais nous nous garderons d’insister. À quoi bon d’ailleurs discuter les arrêts de l’école préraphaélite ? Les citer, c’est en faire justice, et le mieux est de se fier sur ce point au bon sens de chacun. Aussi bien le moment

  1. Notice for the Arundel Society, p. 23.
  2. Lectures on Architecture and Painting, p. 231.
  3. Lectures, page 213.