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toutes les formules d’éloge épuisées, Il y a peu d’années, la fresque de Sant’ Onofrio, à Florence[1], était rendue à l’admiration publique après trois cents ans d’oubli : voici qu’un petit tableau d’un caractère tout différent, mais non certes d’un moindre mérite, — Apollon et Marsyas, — achève de nous révéler la féconde adolescence de ce noble génie. Depuis que M. Passavant a publié, sur la vie et les travaux de Raphaël, un précieux ensemble de faits et de documens, que pouvait-on en apparence ajouter aux éclaircissemens fournis par ce livre, qui résume et achève toutes les informations antérieures ? Et pourtant voici qu’en traitant un sujet analogue, en prenant même pour objet principal de son travail les peintures du maître qui ont été le plus souvent étudiées, l’auteur d’un Essai sur les fresques du Vatican, M. Gruyer, trouve le secret de louer Raphaël sans tomber dans les redites, de compléter par quelques observations utiles les renseignemens et les avis que tant d’écrivains nous avaient donnés avant lui.

Toute proportion gardée d’ailleurs entre l’importance des deux faits, — la découverte d’un tableau de Raphaël et la publication d’une étude judicieuse sur les Stanze, — on peut dire que ces faits se produisent aujourd’hui avec une opportunité particulière. Qui l’aurait cru en effet ? Raphaël a besoin de se défendre et d’être défendu. Pour la première fois, sa cause est non pas, grâce à Dieu, compromise, mais audacieusement trahie par quelques-uns. Le nom qui, depuis plus de trois siècles, représente dans l’art la perfection suprême nous est proposé par les apôtres d’une esthétique nouvelle comme le synonyme du faux talent, de l’erreur et de l’afféterie pittoresques. Je n’exagère rien. On peut lire dans les écrits du théoricien le plus autorisé de la secte préraphaélite, M. Ruskin, la condamnation en termes exprès des « beautés écœurantes de Raphaël, » d’étranges aperçus sur « son art à la fois insipide et empoisonné, » sans compter les jugemens qui flétrissent telle composition en particulier, la Transfiguration par exemple, ou « cette monstruosité infinie, cette œuvre toute d’hypocrisie » qui représente Jésus-Christ donnant les clés du paradis à saint Pierre. Hâtons-nous de le dire, l’outrage n’est pas venu de notre pays. Quelles qu’aient pu être en matière d’art les erreurs de la critique française, jamais on n’a eu à lui reprocher de pareilles témérités. Si même un homme se fût rencontré parmi nous qui, pour la nouveauté du fait, eût imaginé de s’en prendre au génie de Raphaël, sa fantaisie, à coup sûr, n’eût pas trouvé de complices. En Angleterre, les choses se sont passées

  1. Voyez sur la fresque de Sant’ Onofrio l’étude de M. Vitet dans la Revue des Deux Mondes du 15 novembre 1850.