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subséquent de leurs parens, qui mit ainsi la réparation à côté de la faute.

Les lois des temps barbares, du moyen âge et de l’ancienne société françaises ont été tour à tour passées en revue avec le même esprit d’investigation ingénieuse. Malgré la partialité un peu exagérée d’archéologue à laquelle l’auteur a quelquefois cédé en faisant l’éloge de la législation du temps passé, il n’en a pas moins reconnu les défauts qui doivent lui être reprochés, tels que la recherche mal réglée de la paternité naturelle et la privation de tous les droits de succession qui étaient rigoureusement refusés aux enfans naturels, quels qu’ils fussent. Les excès des lois de la convention, qui, pour anéantir, suivant le langage officiel de l’époque, la faction des pères de famille, discréditaient le mariage en donnant à l’enfant naturel le rang d’enfant légitime, sont relevés avec une juste sévérité, et il en ressort l’enseignement, si souvent justifié, que les révolutions gâtent la cause des réformes, même des réformes juridiques. L’œuvre de réparation et d’amélioration entreprise par les auteurs du code civil, soigneusement étudiée, sert à relever la juste part qui a été faite aux principes contraires qu’il fallait concilier. Comment les enfans naturels peuvent-ils établir leur filiation ? quels droits cette filiation leur assure-t-elle ? quelles voies restent ouvertes pour les faire entrer dans la famille comme enfans légitimes ? Toutes ces questions controversées provoquent une argumentation qui en général est bien suivie ; mais la doctrine de l’auteur semble particulièrement hasardée et fautive en ce qui touche à la filiation des enfans incestueux et adultérins, dont la reconnaissance a été justement défendue par le code civil par respect pour la morale publique. En voulant favoriser l’établissement de leur filiation, afin de les faire dès lors exclure plus sûrement par les héritiers légitimes de la succession paternelle ou maternelle, qu’ils sont incapables de recueillir, M. Desportes ne tient aucun compte de la pensée du législateur, qui a voulu punir les parens coupables en brisant à l’avance tous les liens de la parenté légale entre eux et leurs enfans, et il méconnaît en même temps les sages garanties qui ont été prises contre la divulgation des scandales domestiques. Le publiciste est peut-être mieux inspiré quand il se plaint de la défense trop absolue qui interdit la recherche de la paternité naturelle, tandis que celle de la maternité est toujours permise. Il reconnaît sans peine qu’il fallait couper court aux abus de l’ancienne législation, qui faisaient regarder « les recherches de la paternité comme le fléau de la société ; » mais il représente qu’on aurait pu en prévenir le retour en opposant de sages restrictions à de telles réclamations. En les écartant rigoureusement, le législateur peut être accusé d’avoir involontairement protégé l’immoralité de celui qui, malgré les témoignages de sa paternité, rejette ses devoirs envers l’enfant auquel il a donné la vie sur la femme qu’il a séduite et délaissée. Il est seulement à regretter que M. Desportes n’ait pas assez interrogé les législations étrangères, qui, mises en regard de notre code civil, se seraient utilement prêtées soit à des rapprochemens, soit à des contradictions. Pour justifier nos lois ou pour les réformer, il ne suffit pas de les commenter et de les juger, il faut les comparer.


A. lefèvre pontalis.



V. de Mars.