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comique de Mozart, l’action s’engage, comme dans la pièce de Beaumarchais, par un duo entre Suzanne et Figaro, qui mesure la largeur de la chambre où sera placé le lit conjugal. On remarque dans ce duo, si bien dialogué et si musical, la phrase délicieuse que chantent les deux voix réunies :

Ah ! il mattino alle nozze vicino,


pleine de morbidesse et de suavité. La cavatine de Figaro,

Se vuol hallare, signor contino,


est d’une raillerie douce et piquante, tandis que l’air de la vendetta, que chante le docteur Bartolo, est un morceau de premier ordre, qui a évidemment servi de modèle à Rossini pour celui de la calomnie du Barbier de Séville. Quoi de plus vif et de plus charmant que le duo entre Suzanne et Marceline se disputant la préséance ? Il n’y a que Cimarosa qui ait égalé Mozart dans l’expression élégante du dépit féminin, comme on peut s’en assurer par le duo du Matrimonio per raggio :

Se vedete una ragazza…


Avons-nous besoin de louer l’air si universellement connu et admiré que chante Chérubin, cherchant à expliquer l’ardeur confuse qui agite son jeune cœur : Non so piu cosa son, cosa faccio ? Que de vie, que de passion incomprise, que d’élan dans ce morceau délicieux dont chaque note trahit la main du génie ! Les paroles mêmes de Da Ponte sont un chef-d’œuvre de grâce et de rhythme musical. Mme Carvalho, qui joue le rôle du page au Théâtre-Lyrique, chante cet air avec infiniment de goût et ne laisse à désirer qu’une voix mieux posée. Le trio entre le comte, Basile et Suzanne est peut-être d’un style trop élevé pour le caractère et la situation des personnages. Il s’en dégage certains accens qui annoncent le Don Juan. Le premier acte se termine par l’air fameux que chante Figaro et dont on n’a pas encore trouvé le pendant : Non più andrai, farfallone amoroso.

Le second acte s’ouvre par un air très noble que chante la comtesse, auquel succède une de ces créations mélodiques si pures et si parfaites qui valent un long poème ; nous voulons parler de l’air de Chérubin : Voi che sapete, etc. Le monde vieillira, on fera bien des miracles, on transformera la surface de la terre ; mais le sentiment qui a été exprimé par Mozart dans ce morceau divin, que Mme Carvalho chante à ravir, cela est éternel, et ne peut se dire autrement. On peut appliquer à de pareils morceaux les paroles suivantes de M. de Lamartine : « Lisez tout ce qui est immortel dans les œuvres poétiques des hommes, un enfant l’inventerait ; mais il faut un demi-dieu pour l’écrire. » Je glisse sur le trio entre le comte, Suzanne et la comtesse, pour arriver au finale du second acte, qui fait époque dans l’histoire de la musique dramatique. Jusqu’à Mozart, les Italiens seuls avaient su traiter en musique ces scènes compliquées de nombreux incidens qui terminent les actes des opéras bouffes ; mais qu’il y a loin du finale de la Buona Figliuola de Piccini, qui fut donnée à Rome en 1760, à l’immense enchevêtrement de personnages et de péripéties qui forment le sujet du premier finale des Nozze di Figaro ! On sait qu’il s’agit de la scène du cabinet où le comte veut pénétrer, parce qu’il soupçonne que le page s’y est caché. Le finale commence par un dialogue vif et dramatique entre le comte et la comtesse,