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trouvait Mme Lange, belle-sœur de Mozart, fit entendre aussi les Nozze di Figaro. C’est le 23 décembre 1807 que ce même chef-d’œuvre fut donné pour la première fois au théâtre italien de Paris. Depuis lors il s’est maintenu au répertoire jusqu’en 1840. Le monde entier connaît cette belle partition, qui, en Italie cependant, n’a jamais obtenu qu’un succès contesté.

Le libretto de Da Ponte, écrit dans un style facile et très élégant, reproduit les principales situations de la comédie de Beaumarchais, moins les finesses d’esprit et les allusions politiques, qui foisonnent dans le texte original. Il est probable que Mozart aura eu sa part d’influence sur la confection du scénario que Da Ponte lui préparait, comme nous avons la certitude que le poème d’Idoménée et celui de l’Enlèvement au Sérail ont été disposés d’après les conseils et les convenances du musicien. Mozart avait un goût trop délicat et une trop haute opinion de son art pour se laisser imposer des paroles et des scènes qui ne l’auraient pas satisfait. Il a dit formellement : « Je sais que dans un opéra il faut absolument que la poésie soit la fille obéissante de la musique. Pourquoi donc les opéras-bouffes italiens plaisent-ils partout malgré les misères du libretto ? Parce que la musique seule y domine et fait tout oublier… Des vers, certes la musique ne peut s’en passer ; mais des rimes pour des rimes, quelles qu’elles soient, ne font ni chaud ni froid à une représentation théâtrale, etc. » On pourrait extraire de la correspondance de Mozart, semée de tant d’observations fines et profondes, toute une poétique de l’art musical, qui serait la contre-partie de la théorie de Gluck, acceptée par Grétry et la vieille école française. On peut s’étonner que le génie divin de l’auteur de Don Juan ait été attiré par une comédie d’intrigue, par un imbroglio de fantaisie où domine le sarcasme, et qui contient une peinture si fausse de la nature humaine. On se demande ce qu’il pouvait y avoir de commun entre l’esprit fiévreux de Beaumarchais et le génie sublime et chaste du musicien qui a chanté les plus nobles sentimens de l’âme. J’ignore si Beaumarchais, qui jouait de la guitare comme son héros, a jamais entendu la musique des Nozze di Figaro, mais il a dû être bien étonné de la métamorphose, et n’a pas dû se reconnaître sous la couche d’idéalité dont Mozart l’a gratifié. Il eût été plus content de son collaborateur Rossini. Tous les caractères du Mariage de Figaro se trouvent transfigurés dans les Nozze di Figaro. Le Chérubin de Beaumarchais n’est qu’un mousquetaire, une sorte de Faublas dont le modèle se trouvait dans tous les coins de la belle société française au XVIIIe siècle. Le Chérubin conçu par Mozart est l’idéal de l’adolescence, une fleur de poésie, quelque chose comme Psyché s’éveillant à la vie sous le premier baiser de l’Amour. La Suzanne de Beaumarchais n’a jamais éprouvé cette émotion pleine de grâce et de rêverie qui se trouve dans l’air que lui fait chanter Mozart au quatrième acte : Deh ! vieni, non tardar… Le comte Almaviva, la comtesse, Figaro et les autres personnages subalternes sont également ennoblis par le pinceau de Mozart, qui, ainsi que Raphaël, à qui on l’a si justement comparé, ne peut dessiner une physionomie humaine sans l’éclairer d’une clarté divine.

La partition des Nozze di Figaro est trop connue pour que nous soyons autorisé à en donner ici une analyse détaillée. Il suffira que nous en signalions rapidement les morceaux importans. Après l’ouverture, agréable, sobrement écrite et toute remplie de cette gaieté discrète qui caractérise le