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distinguer d’un rêve. Je crois voir un pays bizarre, sauvage, plus grandiose encore que celui-ci.

— Un pays froid ?

— Cela, je n’en sais rien. Les enfans ne sentent guère le froid, et je n’ai jamais été frileux.

— Et quoi encore dans votre rêve ? Du soleil ou de la neige ?

— Je ne sais. De grands arbres, des troupeaux, des vaches peut-être.

— De grands arbres, ce n’est pas l’Islande. Et du voyage qui vous amena en Italie, que vous est-il resté ?

— Absolument rien. Je crois que mon compagnon ou mes compagnons m’étaient inconnus au départ.

— Alors continuez votre histoire.

— C’est-à-dire que je vais la commencer, monsieur Goefle, car jusqu’ici je n’ai pu vous parler que des circonstances mystérieuses dont, comme disent les poètes, mon berceau fut environné. Je vais prendre le récit de ma vie au premier souvenir bien net qui m’ait frappé ; ce souvenir, n’en soyez point scandalisé, monsieur Goefle, c’est celui d’un âne.

— D’un âne… Quadrupède ou bipède ?

— D’un véritable âne à quatre pieds, d’un âne en chair et en os ; c’était la monture favorite de la bonne Sofia Goffredi, et il s’appelait Nino, diminutif de Giovanni. Or cet âne me fut si cher, que j’ai donné à celui qui me sert maintenant pour porter mon bagage le nom de Jean en souvenir de celui qui fit les délices de ma première enfance.

— Ah ! ah ! vous avez un âne ?… C’est donc celui qui m’a rendu visite hier soir ?

— Et c’est donc vous qui l’avez fait mettre à l’écurie ?

— Précisément. Il paraît que vous aimez les ânes ?

— Fraternellement. Aussi je pense depuis un quart d’heure que le mien n’a peut-être pas déjeuné… Ulf en aura eu peur ; il l’a peut-être chassé du château. L’infortuné erre peut-être en ce moment dans la glace et la neige, faisant retentir de sa voix plaintive les insensibles échos ! Je vous demande pardon, monsieur Goefle, mais il faut que je vous quitte un moment pour m’enquérir du sort de mon âne.

— Drôle de corps ! répondit M. Goefle. Eh bien ! allez vite, et en même temps vous donnerez un coup d’œil à mon cheval, qui vaut bien votre âne, soit dit sans vous offenser ; mais est-ce que vous allez courir comme ça à l’écurie avec mon habit de soirée et mes bas de soie ?

— J’aurai si tôt fait !