Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/220

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Canton et de quelques grandes villes où les Européens ont accès d’après les traités : ces tableaux sont exacts ; mais on se tromperait fort et on commettrait une grave injustice en y encadrant en quelque sorte toute la Chine. Que l’on se reporte aux peintures bien différentes de M. Fortune : ce ne sont pas seulement des paysages où l’aspect d’une riante et gracieuse nature communiquerait peut-être aux personnages comme un reflet de beauté et d’honnêteté ; ce sont aussi des dessins de grandes villes, de centres populeux, où l’image du travail paraît toujours au premier plan ; ce sont des intérieurs de famille, où abondent les détails de distinction, d’intelligence et même de finesse dans les goûts. Le plus souvent, en un mot, c’est la représentation, trop minutieuse pour n’être pas fidèle, d’une société civilisée et polie, qui renferme de bons comme de mauvais élémens, qui a certainement ses côtés faibles et ridicules, mais qu’il est bien temps, après les relations pittoresques et les grotesques impressions dont on nous a rassasiés, de prendre au sérieux. C’est pour ce motif qu’après avoir trop souvent ici même évoqué les souvenirs d’une rapide excursion sur la lisière du Céleste-Empire, j’ai pensé que l’on me pardonnerait de revenir encore sur cet éternel sujet, en m’abritant sous l’autorité de M. Fortune et en essayant de reproduire, autant qu’on peut le faire dans une simple analyse, quelques traits de son aimable esprit. La Chine d’ailleurs ne doit-elle pas, aujourd’hui plus que jamais, exciter notre intérêt ? Nous lui faisons la guerre, nous devons donc chercher à la bien connaître, non plus seulement pour satisfaire notre curiosité, mais aussi pour savoir ce qu’il faut surtout combattre, ce qu’il faut vaincre en elle. Or, d’après ce que nous enseigne M. Fortune, ce n’est point le peuple chinois, c’est le gouvernement, c’est une cour orgueilleuse, ce sont des mandarins, et même seulement quelques mandarins ambitieux ou entêtés que nous avons contre nous. La nation est neutre, et tout porte à croire qu’elle demeurera très volontiers neutre en présence de ce conflit soulevé en dehors d’elle. Il y a, dans cette opinion, l’élément d’indications fort utiles pour la conduite politique des plénipotentiaires et des amiraux qui représentent actuellement la France et la Grande-Bretagne dans les mers de Chine. Là comme ailleurs, il convient d’appliquer le principe en vertu duquel la guerre doit épargner les populations paisibles et inoffensives pour ne frapper que sur les gouvernemens et sur les armées, principe généreux que notre temps s’honore d’avoir inscrit, par de nobles exemples, dans le code du droit des gens. Ne ménageons pas la cour de Pékin ni ses mandarins ; mais montrons-nous bienveillans et indulgens pour la nation chinoise.


C. LAVOLLEE.