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visita un fort chinois dont les embrasures, armées de quelques vieux canons hors de service, tombaient en ruines, et qui était gardé ou plutôt occupé par un petit détachement de soldats attendant leur solde depuis plusieurs mois. Les subsides de Fou-chou arrivaient donc fort à propos pour calmer le mécontentement des fonctionnaires et des soldats, et pour arrêter les progrès de la révolte. Les mandarins, qui les apportaient furent accueillis avec de vives démonstrations de joie : on leur tira le mieux qu’on put les trois coups de canon, maximum du salut chinois ; des ouvriers furent mis sans retard à l’œuvre pour construire un théâtre où devait être donné un spectacle en leur honneur. Les autorités de Tam-shuy vinrent visiter le bateau à vapeur, et remercier le capitaine, qui, après avoir reçu le prix du fret, ordonna de lever l’ancre. Avant de se diriger vers le nord, le Confucius retourna à l’embouchure de la rivière Min, où il déposa dans un bateau de passage un mandarin de l’escorte qui était chargé d’annoncer au gouverneur de Fou-chou, l’heureuse arrivée des caisses d’argent à leur destination. Il paraît que cette bonne nouvelle fut reçue d’abord avec beaucoup d’étonnement. On ne s’attendait pas à voir le messager reparaître si vite, et les Chinois eurent toutes les peines du monde à s’imaginer qu’on pût en si peu de temps traverser deux fois le canal. Le spectacle militaire que nous leur procurons en ce moment, la vue des cent navires de guerre que la France et la Grande-Bretagne entretiennent dans leurs eaux, les manœuvres des canonnières et des steamers, qui vont remonter leurs fleuves, doivent les surprendre bien davantage. L’étonnement, chez les Chinois comme chez tous les peuples de l’Orient est un aveu d’infériorité et un signe de défaite.

Nous venons de voir les mandarins de Fou-chou préférer un bateau américain à toutes leurs jonques de guerre pour un transport d’argent. Les armateurs chinois ne se fient pas davantage à la protection de la marine impériale. Voici le curieux épisode que nous raconte à ce sujet M. Fortune. Il se rendait de Ning-po à Shang-haï, et il avait pris passage sur un petit navire, l’Érin, appartenant à la maison anglaise Jardine Matheson. Ce navire, qui portait fréquemment de riches cargaisons d’opium, était toujours bien armé, et les pirates n’ignoraient pas qu’ils auraient affaire à très forte partie, s’il leur prenait fantaisie de l’attaquer : c’était pour l’Érin le meilleur des saufs-conduits. Dans le port de Chinhae, à l’embouchure de la rivière de Ning-po, se trouvait mouillée une flotte de jonques de commerce qui attendait pour mettre à la voile, non pas le vent, qui était favorable, mais la permission des pirates, qui bloquaient l’entrée. En pareil cas, les malheureuses jonques, se résignent à rester à l’ancre jusqu’à ce que l’ennemi s’éloigne pour chercher